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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/121

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autant qu’ils ont dédaigné ? Qui sait tout ce qu’il y a de douleurs poignantes dans les profondeurs muettes du dédain ? Qu’y a-t-il de plus révoltant que l’injustice, et quoi de plus amer que de recevoir une grande injure quand on mérite une grande couronne ? Savez-vous si cet odieux petit livre dont vous riez aujourd’hui n’a pas été officieusement envoyé en 1815 au prisonnier de Sainte-Hélène, et n’a pas fait, tout stupide qu’il vous semble et qu’il est, passer une mauvaise nuit à l’homme qui dormait d’un si profond sommeil la veille de Marengo et d’Austerlitz ? N’y a-t-il pas des moments où la haine, dans ses affirmations effrontées et furieuses, peut faire illusion, même au génie qui a la conscience de sa force et de son avenir ? Apparaître caricature à la postérité, quand on a tout fait pour lui laisser une grande ombre ! Non, mon ami, je ne puis rire de cet infâme petit libelle. Quand j’explore les bas-fonds du passé, et quand je visite les caves ruinées d’une prison d’autrefois, je prends tout au sérieux, les vieilles calomnies que je ramasse dans l’oubli et les hideux instruments de torture rouillés que je trouve dans la poussière.

Flétrissure et ignominie à ces misérables valets des basses-œuvres qui n’ont d’autre fonction que de tourmenter vivants ceux que la postérité adorera morts !

Si l’auteur sans nom de cet ignoble livre existe encore aujourd’hui dans quelque coin obscur de Paris, quel châtiment ce doit être pour cet immonde vieillard, dont les cheveux blancs ne sont qu’une couronne d’opprobre et de honte, de voir, chaque fois qu’il a le malheur de passer sur la place Vendôme, Napoléon, devenu homme de bronze, salué à toute heure par la foule, enveloppé de nuées et de rayons, debout sur son éternelle gloire et sur sa colonne éternelle !

Depuis que j’avais fermé ce volume, tout s’était assombri ; la pluie était devenue plus violente au dehors, et la tristesse plus profonde en moi. Ma fenêtre était restée ouverte, et mon regard s’attachait machinalement à la grotesque gouttière de fer-blanc qui dégorgeait avec furie un flot jaunâtre et fangeux. Cette vue m’a calmé. Je me suis dit que, la plupart du temps, ceux qui font le mal n’en ont pas pleine conscience, qu’il y a chez eux plus d’ignorance et