collines, qui partent du même nœud central, et coiffé de la cathédrale comme d’une tiare. J’étais sur l’esplanade de l’église, devant le portail, et pour ainsi dire sur la tête de la ville. Je voyais le lac au-dessus des toits, les montagnes au-dessus du lac, les nuages au-dessus des montagnes, et les étoiles au-dessus des nuages. C’était comme un escalier où ma pensée montait de marche en marche et s’agrandissait à chaque degré. Vous avez remarqué comme moi que, le soir, les nuées refroidies s’allongent, s’aplatissent et prennent des formes de crocodiles. Un de ces grands crocodiles noirs nageait lentement dans l’air, vers l’ouest ; sa queue obstruait un porche lumineux bâti par les nuages au couchant ; une pluie tombait de son ventre sur Genève ensevelie dans les brumes ; deux ou trois étoiles éblouissantes sortaient de sa gueule comme des étincelles. Au-dessous de lui, le lac, sombre et métallique, se répandait dans les terres comme une flaque de plomb fondu. Quelques fumées rampaient sur les toits de la ville. Au midi, l’horizon était horrible. On n’entrevoyait que les larges bases des montagnes enfouies sous une monstrueuse excroissance de vapeurs. Il y aura une tempête cette nuit.
Je rentre et je vous écris. J’aimerais bien mieux vous serrer la main et vous parler. Je tâche que ma lettre soit une sorte de fenêtre par laquelle vous puissiez voir ce que je vois.
Adieu, Louis, à bientôt. Vous savez comme je suis à vous ; soyez à moi de votre côté.
Vous faites de belles choses, j’en suis sûr ; moi, j’en pense de bonnes, et elles sont pour vous ; car vous êtes au premier rang de ceux que j’aime. Vous le savez bien, n’est-ce pas ?
Je serai à Paris dans dix jours.