Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/226

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Une fois seulement, au quatorzième siècle, trente bourgeois opulents se ruinèrent presque pour sauver la république et obtinrent en récompense, ou, pour mieux dire, en paiement, la noblesse ; mais cela fit presque une révolution ; et ces trente noms, aux yeux des patriciens purs, ont été jusqu’à nos jours les trente taches du livre d’or. La seigneurie déclarait ne devoir au peuple qu’une chose, le pain à bon marché. Joignez à cela le carnaval de cinq mois, et Juvénal pourra dire : Panem et circenses. Voilà comment Venise comprenait l’égalité. ― Le droit public français a aboli tout privilège. Il a proclamé la libre accessibilité de toutes les aptitudes à tous les emplois, et cette parité du premier comme du dernier régnicole devant le droit politique est la seule vraie, la seule raisonnable, la seule absolue. Quel que soit le hasard de la naissance, elle extrait de l’ombre, constate et consacre les supériorités naturelles, et par l’égalité des conditions elle met en saillie l’inégalité des intelligences.

Dans Gênes comme dans Venise il y avait deux états, la grande république, régie par ce qu’on appelait le palais, c’est-à-dire par le doge et l’aristocratie, la petite république, régie par l’office de Saint-Georges. Seulement, au contraire de Venise, mainte fois la république d’en bas gênait, entravait, et même opprimait la république d’en haut. La communauté de Saint-Georges se composait de tous les créanciers de l’état, qu’on nommait les prêteurs. Elle était puissante et avare, et rançonnait fréquemment la seigneurie. Elle avait prise sur toutes les gabelles, part à tous les privilèges, et possédait exclusivement la Corse, qu’elle gouvernait rudement. Rien n’est plus dur qu’un gouvernement de nobles, si ce n’est un gouvernement de marchands. Prise absolument et en elle-même, Gênes était une nation de débiteurs menée par une nation de créanciers. À Venise, l’impôt pesait surtout sur la citadinance ; à Gênes, il écrasait souvent la noblesse. ― La France, qui a proclamé l’égalité de tous devant la loi, a aussi proclamé l’égalité de tous devant l’impôt. Elle ne souffre aucun compartiment dans la caisse de l’état. Chacun y verse et y puise. Et, ce qui prouve la bonté du principe, de même que son égalité politique respecte l’inégalité des intelligences,