Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

peut-être la moins souffrante, semble agitée de mauvais instincts ; l’envie et la jalousie s’y éveillent ; le paresseux d’en bas regarde avec fureur l’oisif d’en haut, auquel il ressemble pourtant ; et, placée entre ces deux extrêmes, qui se touchent plus qu’ils ne le croient, la vraie société, la grande société qui produit et qui pense, paraît menacée dans le conflit. Un travail souterrain de haine et de colère se fait dans l’ombre, de temps en temps de graves symptômes éclatent, et nous ne nions pas que les hommes sages, aujourd’hui si affectueusement inclinés sur les classes souffrantes, ne doivent mêler peut-être quelque défiance à leur sympathie. Selon nous, c’est le cas de surveiller, ce n’est point le cas de s’effrayer. Ici encore, qu’on y songe bien, dans tous ces faits dont l’Europe s’épouvante et qu’elle déclare inouïs, il n’y a rien de nouveau. L’Angleterre avait eu avant nous des révolutionnaires ; l’Allemagne, qu’elle nous permette de le lui dire, avait eu avant nous des communistes. Avant la France, l’Angleterre avait décapité la royauté ; avant la France, la Bohême avait nié la société. Les hussites, j’ignore si nos sectaires contemporains le savent, avaient pratiqué dès le quinzième siècle toutes leurs théories. Ils arboraient deux drapeaux ; sur l’un ils avaient écrit : Vengeance du petit contre le grand ! et ils attaquaient ainsi l’ordre social momentané ; sur l’autre ils avaient écrit : Réduire à cinq toutes les villes de la terre ! et ils attaquaient ainsi l’ordre social éternel. On voit que, par l’idée, ils étaient aussi " avancés " que ce qu’on appelle aujourd’hui les communistes ; par l’action, voici où ils en étaient : ― ils avaient chassé un roi, Sigismond, de sa capitale, Prague ; ils étaient maîtres d’un royaume, la Bohême ; ils avaient un général homme de génie, Ziska ; ils avaient bravé un concile, celui de Bâle, en 1431, et huit diètes, celle de Brinn, celle de Vienne, celle de Presbourg, les deux de Francfort et les trois de Nuremberg ; ils avaient tenu eux-mêmes une diète à Czaslau, déposé solennellement un roi et créé une régence ; ils avaient affronté deux croisades suscitées contre eux par Martin V ; ils épouvantaient l’Europe à tel point, qu’on avait établi contre eux un conseil de guerre permanent à Nuremberg, une milice perpétuelle commandée par l’électeur