grands créneaux, usés, ébréchés et changés en triangle par le temps, complétaient la sombre silhouette de la tour, et lui faisaient une couronne de fleurons aigus. Des paysans, habitants actuels de cette masure, y avaient allumé dans l’intérieur un immense feu de fagots, dont le flamboiement apparaissait au dehors aux trois seules ouvertures qu’eût la ruine, une porte cintrée en bas, deux fenêtres en haut. Ainsi éclairée, ce n’était plus une tour, c’était la tête noire et monstrueuse d’un effrayant Pluton ouvrant sa gueule pleine de feu et regardant par-dessus la colline avec ses yeux de braise.
A ces heures-là, quand le soleil est couché, quand la lune n’est pas levée encore, on rencontre des vallées qui semblent encombrées d’écroulements étranges ; c’est le moment où les rochers ressemblent à des ruines et les ruines à des rochers.
Quelquefois l’espèce de poète qui est en moi triomphe de l’espèce d’antiquaire qui y est aussi, et je me contente de ces visions.
Quelquefois je reviens le lendemain, au jour ; j’explore la masure pas à pas, et je tâche d’en constater l’âge par la saillie des mâchicoulis, la forme des denticules ou l’écartement des ogives.
Il y a dans ce genre, à deux milles de Heidelberg, une ravissante vallée, vallée d’archéologue et vallée de rêveur. Quatre vieux châteaux sur quatre bosses de rochers comme quatre vautours qui se regardent ; entre ces quatre donjons, une pauvre vieille ville semble s’être réfugiée avec épouvante au sommet d’une montagne conique, où elle se pelotonne dans ses murailles, et d’où elle observe depuis six cents ans l’attitude formidable des châteaux. Le Neckar semble avoir pris fait et cause pour la ville, et il entoure la montagne des bourgeois de son bras d’acier. De vieilles forêts, à cette heure chamarrées de toutes les dorures de l’automne, se penchent de toutes parts sur cette vallée comme dans l’attente d’un combat. Il y a là, parmi les chênaies et les châtaigneraies, de ces grands bois de pins habités par les hiboux et les écureuils. À de certaines heures, cet ensemble n’est pas un paysage, c’est une scène, et l’on attend l’heure où les acteurs, cette ville et ces