Forêt-Noire, lesquels étaient venus visiter en artistes et en connaisseurs la phénoménale cheminée des palatins, et s’extasiaient dessous, et qui, tout noirs, avec leurs dents blanches, agitant de leurs deux bras ce vaste manteau qu’ils portent en châle, avaient l’air de deux grandes chauves-souris de l’odéon mettant en scène Robin des Bois dans les ruines de Heidelberg.
Aucun genre de dévastation n’a manqué à ce château. Jusqu’ici je vous ai parlé de M. de Tilly, du comte de Birkenfeld, du maréchal de Lorges, de l’empereur d’Allemagne et du roi de France, des grands démolisseurs. Je ne vous ai rien dit des petits. Quand on regarde la trace des lions on n’aperçoit pas celle des rats. Heidelberg a eu pourtant ses rats. Les ravageurs infimes, les architectes officiels, se sont rués sur ce monument comme s’il était en France, comme s’il était à Paris. Des invalides qu’on y avait logés ont mutilé le vieil édifice avec une haine de ruine à ruine. Ils ont complètement démoli deux frontons sur quatre dans la chambre à coucher d’Othon-Henri. Des anglais ont brisé à coups de marteau pour les emporter les cariatides-pilastres de la salle à manger. Un architecte, chargé de construire un conduit d’eau de Heidelberg à Mannheim, a jeté bas les voûtes de la salle des chevaliers, afin de faire avec les briques du ciment pour ses aqueducs. Vous vous souvenez que notre grille de la place royale, monument rare et complet de la serrurerie du dix-septième siècle, cette bonne vieille grille dont parle Mme De Sévigné, qui avait vu passer les oiseaux des tournelles, qu’avaient coudoyée Corneille allant chez Marion De Lorme et Molière allant chez Ninon De Lenclos, a été vendue cette année, devant ma porte, cinq sous la livre. Eh bien, cher Louis, les niais quelconques qui ont fait cette bêtise ne l’ont pas même inventée. Les niais créateurs de la chose étaient de Heidelberg ; eux ne sont que les niais plagiaires. Il y avait autour du perron d’Othon-Henri une admirable rampe de fer de la renaissance. Les architectes de la ville l’ont fait vendre au poids et à moins de six liards la livre. Je cite le texte même du marché. Qu’en dites-vous ? Ces six liards-là valent bien nos cinq sous.