Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’approchais d’une porte ténébreuse ou d’un coin brumeux, j’y voyais vivre un regard mystérieux.

Etes-vous visionnaire comme moi ? Avez-vous éprouvé cela ? Les statues dorment le jour ; mais, la nuit, elles se réveillent et deviennent fantômes.

Je suis sorti du palais d’Othon et je suis rentré dans la cour, toujours poursuivi par le petit bruit bizarre que faisait un veilleur quelconque dans la salle des chevaliers.

Au moment où je venais de redescendre le perron, la lune a surgi tout à coup pure et brillante dans une large déchirure des nuages ; le palais à double fronton de Frédéric IV m’est apparu subitement, magnifique, éclairé comme en plein jour, avec ses seize géants pâles et formidables ; tandis qu’à ma droite la façade d’Othon, dressée toute noire sur le ciel lumineux, laissait échapper d’éblouissants rayons de lune par ses vingt-quatre fenêtres à la fois.

Je vous ai dit éclairé comme en plein jour ; j’ai tort, c’était tout ensemble plus et moins. La lune dans les ruines est mieux qu’une lumière, c’est une harmonie. Elle ne cache aucun détail et elle n’exagère aucune cicatrice ; elle jette un voile sur les choses brisées et ajoute je ne sais quelle auréole brumeuse à la majesté des vieux édifices. Il vaut mieux voir un palais ou un cloître écroulé la nuit que le jour. La dure clarté du soleil fatigue les ruines et importune la tristesse des statues.

A leur tour, ces ombres des empereurs et des palatins m’ont regardé ; simulacra. Chose singulière, il m’avait semblé, l’instant d’auparavant, que les sirènes, les nymphes et les chimères me regardaient avec colère ; il me semblait maintenant que tous ces vieux princes redoutables attachaient sur moi, chétif passant, un œil bon et hospitalier. Quelques-uns paraissaient encore plus grands sous le rayonnement fantastique de la lune. L’un deux, qui a été atteint et à demi renversé par une bombe, Jean-Casimir, adossé à la muraille, avec sa face blême, son nez aquilin et sa longue barbe, avait l’air de Henri IV exhumé.

Je suis sorti du palais par le jardin, et en redescendant je me suis encore arrêté un instant sur une des terrasses inférieures. Derrière moi, la ruine, cachant la lune, faisait à mi-côte un gros buisson d’ombre d’où jaillissaient