hauts pignons d’une vieille nef où est la bibliothèque de la ville ; au milieu de la place, une baraque en bois d’où sortira, dit-on, un monument pour Kléber ; tout autour, un cordon de vieux toits assez pittoresques ; à quelques pas de ma fenêtre, une lanterne-potence au pied de laquelle baragouinent quelques gamins allemands, blonds et ventrus. De temps en temps, une svelte chaise de poste anglaise, calèche ou landau, s’arrête devant la porte de la Maison-Rouge ― que j’habite, — avec son postillon badois. Le postillon badois est charmant ; il a une veste jaune vif, un chapeau noir verni à large galon d’argent, et porte en bandoulière un petit cor de chasse avec une énorme touffe de glands rouges au milieu du dos. Nos postillons, à nous, sont hideux ; le postillon de Longjumeau est un mythe ; une vieille blouse crottée avec un affreux bonnet de coton, voilà le postillon français. Maintenant, sur le tout, postillon badois, chaise de poste, gamins allemands, vieilles maisons, arbres, baraques et clocher, posez un joli ciel mêlé de bleu et de nuages, et vous aurez une idée du tableau.
J’ai eu, du reste, peu d’aventures ; j’ai passé deux nuits en malle-poste, ce qui m’a laissé une haute idée de la solidité de notre machine humaine. C’est une horrible chose qu’une nuit en malle-poste. Au moment du départ tout va bien, le postillon fait claquer son fouet, les grelots des chevaux babillent joyeusement, on se sent dans une situation étrange et douce, le mouvement de la voiture donne à l’esprit de la gaîté et le crépuscule de la mélancolie. Peu à peu la nuit tombe, la conversation des voisins languit, on sent ses paupières s’alourdir, les lanternes de la malle s’allument, elle relaie, puis repart comme le vent ; il fait tout à fait nuit, on s’endort. C’est précisément ce moment-là que la route choisit pour devenir affreuse ; les bosses et les fondrières s’enchevêtrent ; la malle se met à danser. Ce n’est plus une route, c’est une chaîne de montagnes avec ses lacs et ses crêtes, qui doit faire des horizons magnifiques aux fourmis. Alors deux mouvements contraires s’emparent de la voiture et la secouent avec rage comme deux énormes mains qui l’auraient empoignée en passant ; un mouvement d’avant en arrière et d’arrière en avant, et un mouvement de