Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/72

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couronne et sa croix. C’est le prodige du gigantesque et du délicat. J’ai vu Chartres, j’ai vu Anvers, il me fallait Strasbourg.

L’église n’a pas été terminée. L’abside, misérablement tronquée, a été arrangée au goût du cardinal de Rohan, cet imbécile, l’homme du collier. Elle est hideuse. Le vitrail qu’on y a adapté a un dessin de tapis courant ; c’est ignoble. Les autres vitraux sont beaux, excepté quelques verrières refaites, notamment celle de la grande rose. Toute l’église est honteusement badigeonnée ; quelques parties de sculpture ont été restaurées avec quelque goût. Cette cathédrale a été touchée par toutes mains. La chaire est un petit édifice du quinzième siècle, gothique fleuri, d’un dessin et d’un style ravissants. Malheureusement on l’a dorée d’une façon stupide. Les fonts baptismaux sont de la même époque et supérieurement restaurés. C’est un vase entouré d’une broussaille de sculpture la plus merveilleuse du monde. À côté, dans une chapelle sombre, il y a deux tombeaux. L’un, celui d’un évêque du temps de Louis V, est cette pensée redoutable que l’art gothique a exprimée sous toutes les formes : un lit sous lequel est un tombeau, le sommeil superposé à la mort, l’homme au cadavre, la vie à l’éternité. Le sépulcre a deux étages. L’évêque, dans ses habits pontificaux et mitre en tête, est couché dans son lit, sous un dais ; il dort. Au-dessous dans l’ombre, sous les pieds du lit, on entrevoit une énorme pierre dans laquelle sont scellés deux énormes anneaux de fer ; c’est le couvercle du tombeau. On n’en voit pas davantage. Les architectes du seizième siècle montraient le cadavre (vous souvenez-vous des tombeaux de Brou) ; ceux du quatorzième le cachaient, c’est encore plus effrayant. Rien de plus sinistre que ces deux anneaux.

Au plus profond de ma rêverie, j’ai été distrait par un anglais qui faisait des questions sur l’affaire du collier et sur Mme de Lamotte, croyant voir là le tombeau du cardinal de Rohan. Dans tout autre lieu, je n’aurais pu m’empêcher de rire. Après tout, j’aurais eu tort ; qui n’a pas son coin d’ignorance grossière ? Je connais, et vous connaissez comme moi un savant médecin qui dit poudre DENTRIFICE, ce qui prouve qu’il ne sait ni le latin ni le français. Je ne