Je vous parlerai de Bâle en détail dans ma prochaine lettre. Je me suis logé à la cigogne, et, de la fenêtre où je vous écris, je vois dans une petite place deux jolies fontaines côte à côte, l’une du quinzième siècle, l’autre du seizième. La plus grande, celle du quinzième siècle, se dégorge dans un bassin de pierre plein d’une belle eau verte, moirée, que les rayons du soleil semblent remplir, en s’y brisant, d’une foule d’anguilles d’or.
C’est une chose bien remarquable d’ailleurs que ces fontaines. J’en ai compté huit à Freiburg ; à Bâle il y en a à tous les coins de rue. Elles abondent à Lucerne, à Zurich, à Berne, à Soleure. Cela est propre aux montagnes. Les montagnes engendrent les torrents, les torrents engendrent les ruisseaux, les ruisseaux produisent les fontaines ; d’où il suit que toutes ces charmantes fontaines gothiques des villes suisses doivent être classées parmi les fleurs des Alpes.
J’ai vu de belles choses à la cathédrale, et j’en ai vu de curieuses ; entre autres, le tombeau d’Erasme. C’est une simple lame de marbre, couleur café, posée debout, avec une très longue épitaphe en latin. Au-dessus de l’épitaphe est une figure qui ressemble, jusqu’à un certain point, au portrait d’Erasme par Holbein, et au bas de laquelle est écrit ce mot mystérieux : Terminus. Il y a aussi le sarcophage de l’impératrice Anne, femme de Rodolphe De Habsbourg, avec son enfant endormi près d’elle ; et, dans un bras de la croisée, une autre tombe du quatorzième siècle sur laquelle est couchée une sombre marquise de pierre, la dame de Hochburg. ― Mais je ne veux pas empiéter ; je vous conterai Bâle dans ma prochaine lettre.
Demain, à cinq heures du matin, je pars pour Zurich, où vient d’éclater une petite chose qu’on appelle ici une révolution. Que j’aie une tempête sur le lac, et le spectacle sera complet.