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LE TRÉSOR DE BIGOT

votre arrivée dans le même état où les criminels l’avaient laissée. Mon sacristain a monté continuellement la garde ici depuis le matin.

— Oui, à preuve que j’ai grand faim, interrompit le bedeau. Il est près de quatre heures de l’après-midi et je n’ai pas encore dîné.

— Allez prendre un bon repas, mon ami, déclara Jules, et revenez dans une heure. Maintenant, monsieur le curé, si vous voulez me le permettre, je vais descendre dans cette fosse.

— Faites, monsieur, faites, je sais que vos intentions ne sont point profanes.

Jules Laroche sauta sur les ossements qui craquèrent. Il se mit à genoux au fond de la fosse et fouilla, fouilla…

Une demi-heure, une heure se passèrent ; Jules était toujours là. Les paroissiens s’étaient peu à peu approchés et regardaient curieusement.

De temps en temps, Jules poussait un grognement de satisfaction.

À la fin, il se releva et demanda l’aide de deux hommes pour sortir de la fosse. Des dizaines de bras se tendirent. Jules fut hissé.

— Avez-vous trouvé quelque chose, interrogea le curé ?

— Oui, le criminel qui est descendu dans cette fosse la nuit dernière portait des talons de caoutchouc de marque « Panthère » ; chaussait des bottines de 8 ½ points, fumait une cigarette de marque « Chesterfield » et avait comme initiales de son nom J. L. Je suis chanceux d’avoir un alibi, monsieur le curé, car J. L. sont justement les initiales de mon nom : Jules Laroche. Cet autre J. L. qui a commis l’acte abominable de la nuit dernière a en même temps commis une imprudence : celle de laisser tomber ce fume-cigarettes au fond de la fosse et de ne pas le ramasser.

En même temps, le détective montrait au curé un fume-cigarettes en or, serti de perles, paraissant de qualité.

Le sacristain arrivait pour reprendre sa garde.

Le curé et le détective s’éloignèrent un peu, désirant s’isoler de la foule. Quand ils furent seuls, Jules déclara :

— Je ne m’explique pas bien comment il se fait que vos paroissiens se révoltent tant contre la violation d’une tombe qui, pour eux, est celle d’un inconnu.

— C’est qu’elle n’est pas du tout pour eux celle d’un inconnu. En effet, quand j’eus réussi à déchiffrer l’inscription, il y a quelque trente ans, je fis une cérémonie imposante. Un service funèbre fut chanté pour le repos de l’âme de Marcel Morin que je considérais comme le premier homme qui foula la bonne terre de St-Henri. J’entourai sa tombe d’une plate-bande que mon sacristain a toujours soigneusement entretenue. Les fidèles venaient souvent s’agenouiller au pied du tombeau de celui qu’ils considéraient comme leur grand ancêtre paroissial. C’est pourquoi l’attentat de cette nuit soulève tant d’indignation parmi mon troupeau.

À ce moment, le détective entendit un aboiement joyeux :

— Tiens, on dirait mon chien Café, s’écria-t-il. Mais oui, c’est lui.

Le chien, après avoir pendant quelques secondes léché la main de Tricentenaire qui causait avec un inconnu dans un coin du cimetière, accourait vers son maître, en agitant joyeusement sa longue queue. L’animal était aussi gros qu’un chevreuil ordinaire. Il était couleur café fort. C’était pourquoi on l’avait baptisé de ce nom.

— Comment se fait-il que te voilà rendu ici, Café ? demanda le détective, se penchant sur le chien qui, essoufflé, battait des flancs et sortait la langue. Je t’avais pourtant dit de rester à Québec. Mais là, tu ne peux rester loin de ton maître. Tu m’as suivi à la piste. Bien, ne t’éloigne pas. Je peux avoir besoin de toi.

En effet, le détective pouvait avoir besoin de lui ; car Café avait un flair extraordinaire.

Jules Laroche aperçut soudain Champlain-Tricentenaire qui causait toujours avec l’inconnu.

— Connaissez-vous l’homme avec lequel se trouve mon secrétaire en ce moment ? demanda-t-il au curé.

Celui-ci ajusta ses lunettes et regarda. Puis il se pencha précipitamment vers Jules et lui dit :

— Dieu du Ciel ! Monsieur Laroche. Cet inconnu ressemble étrangement au quêteux que j’ai hébergé l’autre nuit. Mais il est plus jeune ; on dirait son fils.

— En tout cas, il n’est pas vêtu comme un mendiant, reprit le détective toujours calme et imperturbable malgré cette nouvelle surprenante.

Champlain n’avait pas vu son maître. Celui-ci se dirigea vers lui en compagnie du curé. L’inconnu fut le premier à les voir s’approcher. Il salua alors précipitamment son interlocuteur, sortit du cimetière et sau-