Page:Huot - Le trésor de Bigot, 1926.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LE TRÉSOR DE BIGOT

mal de causer quelques minutes avec le docteur Labranche.

Madeleine appela :

— Docteur, docteur !

Un vieillard encore alerte apparut dans l’entrebâillement de la porte :

— Tiens, dit-il en souriant, c’est la petite Madeleine à mon vieil ami le notaire. Que viens-tu faire par ici ?

Le vieux était déjà rendu à l’automobile.

— Oh ! Nous venons simplement admirer les beautés de l’Etchemin coulant au milieu de ce vert paysage.

Madeleine présenta Jules qui déclara de suite :

— Je connais bien votre fils Jean, docteur. Il est toujours étudiant en médecine, n’est-ce pas ?

— Mais oui, mais oui ; et il me dit qu’il a passé tous ses examens avec grand succès cette année encore. C’est aussi un financier. Il joue à la Bourse et fait de bonnes affaires. La semaine dernière j’ai consenti à lui donner $100. Il les a placées en Bourse et m’en a rapporté $600, hier. Figurez-vous ma joie !.. Ah ! Je peux me vanter d’avoir un bon fils, monsieur. Dieu me récompense des sacrifices que j’ai consentis pour le faire instruire. Il veut me faire cadeau d’une automobile, prétendant que mon cheval et ma voiture de médecin sont d’un autre âge.

Évidemment le vieux docteur ignorait que son fils n’avait pas assisté à un seul cours de la Faculté de Médecine, l’année précédente.

— En tout cas, se dit le détective, Jean Labranche peut bien être un bandit, mais c’est un bon fils.

Il ne put s’empêcher d’admirer le geste du jeune homme remettant $600 à son vieux père.

Tant il est vrai qu’il y a toujours dans le cœur du criminel le plus endurci une petite étincelle de vertu.

Mais Jean Labranche était-il un criminel ?

Jules avait bien peu de preuves. Ce n’est pas un crime de laisser croire à son père qu’on est étudiant en médecine quand on ne l’est plus. Mais toujours revenait la question : « Où donc Labranche prenait-il l’argent dont il vivait ? »

Jules et Madeleine continuèrent leur route après avoir dit un amical bonjour au vieux docteur.

Ils filèrent quelques minutes. La route était de plus en plus mauvaise. Les soubresauts de la voiture poussaient souvent Madeleine contre le détective. La jeune fille sentait une émotion mystérieuse l’envahir. Elle était toute intimidée.

Le trajet se fit silencieusement, Jules Laroche songeait aux événements qui s’étaient précipités. Hier encore, il ne connaissait rien de toute cette terrible histoire. Et aujourd’hui il était emmêlé dans la trame, cherchant le bout du fil. Mais la présence de la jeune fille le distrayait de ses réflexions. De temps en temps, il la regardait du coin de l’œil : leurs regards se croisaient, s’appuyaient l’un sur l’autre. Ils souriaient, gênés, sans mot dire.

Enfin, ils arrivèrent en face du bungalow de Jean Labranche.

— C’est ici, fit Madeleine.

La maisonnette était bâtie sur une élévation dominant la rivière Etchemin. Elle avait un air coquet, à travers les branches des chênes qui la cachaient partiellement à la vue. Au pied de la maison, l’Etchemin coulait doucement. Sur le bord, il y avait un petit quai auquel une corde retenait un canot de toile.

Aux alentours, c’était le silence rompu seulement par le gazouillis des oiseaux. Jules descendit de l’automobile, scruta la place aux quatre coins cardinaux : personne. Il aida alors Madeleine à descendre et ils se dirigèrent tous deux silencieusement vers le bungalow.

La serrure de la porte n’était pas compliquée. Le détective eut vite fait de l’ouvrir avec une fausse clef faisant partie du trousseau qu’il avait toujours dans une poche.

Ils entrèrent tous deux dans le bungalow. Jules referma soigneusement la porte derrière lui.

La maisonnette se divisait en trois pièces : une cuisine, un fumoir et une chambre à coucher. L’ameublement était fort riche.

Jules alla de suite à un petit secrétaire. Il n’était pas fermé à clef. Le détective l’ouvrit et en sortit une liasse de billets de banque : billets de 20, de 50 et de 100 piastres.

— Diable ! fit-il, ce jeune Labranche n’est pas très prudent.

Au comble de la surprise de Madeleine, Jules se pencha ensuite sous le lit et en tira une paire de souliers qu’il examina soigneusement.

— Tiens, dit-il à la jeune fille, votre ami porte des talons de caoutchouc de marque « Panthère ». Je vois gravée sur la semelle : pointure 8 1-2. Cela vous intéresse sans doute, mademoiselle.

— Mais, monsieur Laroche, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse !

— C’est vrai : vous ignorez que le criminel