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LE TRÉSOR DE BIGOT

— La fosse du noyé ! s’écria la paysanne. Monsieur Jean Labranche est justement venu voir mon père à ce sujet ce matin. Il lui a demandé de lui montrer l’emplacement de cette fosse. Mais mon père a refusé sèchement, disant qu’il avait promis de montrer la fosse à mademoiselle Madeleine seulement.

— Mais pourquoi Labranche voulait-il voir la fosse ?

— Parce que, disait-il, il était à écrire un article sur cette fosse pour une revue historique de Montréal.

Le détective sourit :

— Diable ! fit-il, ce Labranche me semble avoir plusieurs métiers. Il est étudiant en médecine, financier, écrivain, que sais-je !

La paysanne reprit :

— Vous dites que la vie de mon père n’est pas en danger s’il ne révèle pas le secret de la fosse du noyé ?

— Oui.

— Alors, je crains moins, car le vieux est l’homme le plus entêté de Sorosto. Jamais il ne parlera sous les menaces. Mais, mon Dieu ! ils vont le faire mourir à le tourmenter.

— Rassurez-vous, madame, sa captivité ne sera pas de longue durée. Nous nous mettons en campagne immédiatement, mademoiselle Madeleine et moi.

Quand ils eurent quitté la paysanne, le détective réfléchit longuement, assis dans l’automobile, la jeune fille à ses côtés.

La lutte était devenue une course au trésor. Qui arriverait le premier ? Il convenait de ne pas perdre une minute. D’abord, le détective jugea qu’il fallait retrouver le père Latulippe ; car il détenait le secret de la fosse du noyé.

Jules sortit un papier de sa poche, la copie qu’il avait faite du second bout de parchemin, et relut :

« Le soleil se lève ; je sors de ma
maison ; je fais 512 pas vers la rivière ;
Je m’arrête et regarde. Le soleil donne
sur la fosse du noyé. Je fais 21 pas,
le soleil dans le dos. Ici est le salut
de la Nouvelle-France.
-----------« Marcel Morin ».

Jules pensa : « Je fais 21 pas, le soleil dans le dos. Le soleil donne sur la fosse du noyé. » Puisque le soleil donne sur la fosse du noyé et qu’il fait 21 pas, le soleil dans le dos, évidemment il se dirige en droite ligne vers la fosse du noyé. « Ici est le salut de la Nouvelle-France. » Le salut de la Nouvelle-France, c’est le trésor de Bigot, l’être infâme qui en a causé la ruine. Alors le trésor devrait être tout près de la fosse du noyé s’il n’est pas dans la fosse même. Le bandit Labranche le sait fort bien, puisqu’il a fait enlever le père Latulippe.

— Mademoiselle Madeleine, dit-il à voix haute, vous n’auriez pas dû dire à Jean Labranche que le père Latulippe connaissait le secret de la fosse du noyé.

— Je le sais bien.

— Quand vous lui avez appris ce matin que nous allions rendre visite au vieillard, il s’est empressé de nous devancer et il y a diablement réussi.

Le détective continua ses réflexions : Les bandits avaient gagné la première manche avec l’enlèvement. Mais réussiraient-ils à faire parler le père Latulippe ? Laroche en doutait fort depuis que la paysanne lui avait appris le caractère de son père.

Il fallait à tout prix délivrer le vieillard.

Tant qu’il n’aurait pas parlé, il serait quasi impossible de découvrir le trésor.

Mais où ses ravisseurs l’avaient-ils emmené ? Là était la grande question, la question à la solution de laquelle il allait lui falloir user de toutes les ressources de son esprit. Il se souvint… Le matin même, sur la route du « Petit St-Henri », quelques minutes avant d’être attaqué, il avait remarqué plusieurs individus qui disparaissaient au même endroit.

N’était-ce pas là la caverne dont le père Lacerte avait parlé à la porte du bungalow de Labranche ?

Il eut l’intuition qu’il ne faisait pas fausse route.

— Nous allons bien voir, en tout cas, fit-il.

Et il fit avancer son « Racer ». Comme il allait prendre la route nationale dans la direction de Pintendre, une automobile passa à toute vitesse.

Mais elle n’avait pas passé assez vite pour empêcher Jules Laroche de reconnaître la voiture et son unique occupant.

— Savez-vous quel est ce fervent de vitesse ? demanda-t-il à la jeune fille.

— Non. Et vous ?

— Oui, c’est mon secrétaire et factotum Champlain-Tricentenaire Lacerte qui se ballade dans mon Sedan Buick à 45 à l’heure. Et pourtant, ce matin, je lui ai intimé l’ordre de m’attendre toute la journée au garage St-Henri. Enfin, nous allons bien voir ce qu’il manigance, celui-là. Je le suis, dussé-je faire du 75 à l’heure pour le rattraper.

Et Jules Laroche partit à toute vitesse.