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ENQUÊTE

D’un geste machinal qui lui est familier, M. Mirbeau renvoya son chapeau sur le haut du front pour le ramener tout à l’heure sur ses yeux, et, un poing sur la hanche, l’autre main appuyée sur sa canne, il admira. C’était un grand espace de forêt tout planté de hêtres énormes. Les fûts à l’écorce lisse et bleutée, espacés dans un désordre harmonieux, s’élevaient tout droit vers le ciel dans un jet élégant et viril. La perspective s’éloignait dans une profondeur bleue.

— Hein ? Quelques femmes de Puvis lâchées là-dedans ! Voulez-vous que nous nous allongions là, au milieu, dans ce rayon de soleil ?

Étendus sur les feuilles sèches, en fumant d’excellentes cigarettes « Raïchline », très russes, comme dirait Jean Lorrain, nous reprîmes la conversation de tout-à-l’heure, à bâtons rompus, s’accrochant à toutes les incidentes et s’égarant à tous les carrefours. J’en retiens les morceaux que voici :

— Les symbolistes… Pourquoi pas ? Quand ils ont du génie ou du talent comme cet exquis Mallarmé, comme Verlaine, Henri de Régnier, Charles Morice, je les aime beaucoup. Ce que je trouve d’admirable dans la littérature, c’est justement de pouvoir aimer en même temps et Zola qui, en somme, est surtout beau quand il arrive au symbole, et Mallarmé, et Barrès, Élémir Bourges, Paul Adam, et Paul Hervieu ! Barrès, on est là à l’embêter tout le temps avec son moi, c’est idiot ! Mais tonnerre I son moi est