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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

Notre ambition à tous, c’était d’écrire dans les grands journaux. Si vous saviez les plans de deux heures du matin, les quotidiens pris d’assaut, Tortoni envahi… Tortoni hypnotise absolument la brasserie, qui s’y risque quelquefois, en été, à la terrasse, quand Scholl même n’y est plus, lorsque les Anglais envahissent le boulevard… Ah ! oui, quels plans de romans, de drames, d’articles, qui restent en plan…

— Que pensez-vous des formules émises, de l’esthétique projetée ?

— Je suis surtout frappé du soin jaloux avec lequel vos interviewés ont tu les noms des absents et des morts, dont quelques-uns occuperaient le premier rang aujourd’hui. Pourquoi ces petitesses ? Oh ! l’étroitesse de ces coteries ! Dans votre galerie, ils n’ont guère fait de place à Jules Laforgue, l’auteur des complaintes à Notre-Dame la Lune, du Concile Féerique, des Moralités légendaires, un poète original, qui dépasse tous vos Moréas de cent coudées, — mort à vingt-sept ans ? Et Tristan Corbière, que Verlaine a classé dans ses poètes maudits, Corbière, un Breton au vers salé comme l’Océan d’Armor, et qu’ils passent sous silence… Pourtant, nous récitions tous ses rudes poèmes, où se dressent les calvaires de granit, dans la lande ; nous savions par cœur ses cantiques et ses pardons ! Et Hennequin, dont ils n’ont pas soufflé mot, mort à trente ans, une des intelligences du groupe ! Silence sur ceux-là !…