Page:Huret - Enquête sur l’évolution littéraire, 1891.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

— J’ai à ce propos une histoire bien amusante à vous conter. On sait que les symbolistes n’ont pas de règle de technique fixe ; mais je m’en suis assuré de la façon suivante : l’un d’eux, que je ne vous nommerai pas pour ne pas l’ennuyer, me communiquait un jour une pièce de vers. J’en lorgnai un de dix-sept pieds ; j’insinuai à mon jeune ami que le vers serait bien plus joli s’il supprimait un qualificatif qui l’alourdissait, et je lui demandai s’il verrait un inconvénient à le retrancher :

— Pas du tout ! me répondit-il.

Et il biffa le qualificatif.

— Il n’aura plus que quinze pieds, voilà tout, me dit-il.

Cet aveu m’a paru précieux à recueillir.

Mais non seulement ils brisent, fâcheusement à mon avis, la cadence du vers en l’allongeant outre mesure, mais ils traitent la rime avec une coupable légèreté. La rime n’est pas une gêne pour le poète : c’est un tremplin. La difficulté même excite le génie de l’artiste. La langue française, qui est intermédiaire entre les langues du Midi et celles du Nord, n’a pas la sonorité de l’italien ou de l’espagnol où les rimes abondent à tel point que leur emploi constant pourrait paraître fastidieux. Et, pour faire une comparaison qui me paraît très juste et qui m’est souvent venue à l’esprit en regardant monter la mer, une rime heureuse arrivant au bout d’un beau vers, c’est