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ENQUÊTE

trouvons dans le poème de Dante sont dues soit à des allusions politiques ou théologiques qu’il est aisé d’élucider. Je ne nie point qu’il n’y ait du charme dans le mystère et même dans l’obscurité ; mais je crois que plus la pensée du poète est absconse, comme ils disent, plus la forme doit être claire. Est-ce donc une nécessité d’être inintelligible ?

Et puis, voyons, est-ce une nécessité aussi, ce manque de vénération des jeunes gens à l’égard de leurs anciens, et cette absence totale de fraternité entre eux ? Cette lutte acharnée pour la gloire, et cette irrévérence pour les vieux maîtres, — que vous avez notées dans vos interviews, — ce sont les traits les plus caractéristiques de la jeunesse d’aujourd’hui.

Nous autres, au temps du Parnasse, je vous assure que nous n’étions pas ainsi. Nous nous aimions tous beaucoup ; tous les bonheurs qui sont arrivés à plusieurs d’entre nous : l’Académie, les distinctions, le succès, nous réjouissaient tous à la fois. Et je me rappelle avec quel plaisir nous nous rencontrions, boulevard des Invalides, chez notre grand ami fraternel Leconte de Lisle, où nous allions, le samedi, « comme les Musulmans vont à la Mecque ! » Le mot est de Coppée, et comme il est juste ! Leconte de Lisle ! Mais il nous a appris à tous à faire des vers ! et les conseils qu’il nous donnait ce n’était pas du tout pour que nous fassions des vers comme les siens, il se mettait dans la peau de chacun : « moi, à votre place, je mettrais