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ENQUÊTE


Tenez, un exemple. Au deuxième acte de Lucrèce Borgia, que je considère comme son plus beau drame, Alphonse d’Este envoie Rustighello chercher le poison des Borgia enfermé dans un flacon, il lui décrit la porte, la serrure, qui est une guivre dorée, une guivre de Milan, le flacon, les coupes, etc., etc. Voilà ce que je ne ferai jamais ; moi, je ne comprends pas qu’au moment où on se dispose à empoisonner quelqu’un on s’arrête à ces détails ; je m’attacherais à peindre autre chose, les sentiments, les émotions, en un mot, l’état d’âme du personnage…

Mais cela n’empêche pas que ce ne soit intéressant et qu’on soutienne le droit qu’Hugo a eu de faire parler ainsi un personnage du seizième siècle, de cette époque où les œuvres d’art tenaient une telle place. Car, voyez-vous, moi, je suis pour la liberté ; la liberté ! il n’y a que cela ! Chacun libre. Lisez la pièce de Hugo, dans les Feuilles d’automne : Pan. Tout est de l’art ! tout ! Pan !

Et M. Vacquerie eut un large geste parabolique. Puis il se recueillit, et, d’une voix plus grave :

— Si vous aviez, comme moi, connu Victor Hugo dans l’exil…

Je sens que nous nous éloignons un peu du symbolisme, mais mon éloquent interlocuteur est illuminé par la grande figure de Victor Hugo qu’il me montre à Jersey, au haut d’un rocher, dans un belvéder, au-dessus de l’Océan, contemplant les flots, écoutant la grande voix du large…