Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/14

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et que j’y aperçois l’éternelle séduction et le non moins éternel adultère, je m’empresse de le fermer, n’étant nullement désireux de connaître comment l’idylle annoncée finira. Le volume où il n’y a pas de documents avérés, le livre qui ne m’apprend rien ne m’intéresse plus.

Au moment où parut À Rebours, c’est-à-dire en 1884, la situation était donc celle-ci : le naturalisme s’essoufflait à tourner la meule dans le même cercle. La somme d’observations que chacun avait emmagasinée, en les prenant sur soi-même et sur les autres, commençait à s’épuiser. Zola, qui était un beau décorateur de théâtre, s’en tirait en brossant des toiles plus ou moins précises ; il suggérait très bien l’illusion du mouvement et de la vie ; ses héros étaient dénués d’âme, régis tout bonnement par des impulsions et des instincts, ce qui simplifiait le travail de l’analyse. Ils remuaient, accomplissaient quelques actes sommaires, peuplaient d’assez franches silhouettes des décors qui devenaient les personnages principaux de ses drames. Il célébrait de la sorte les halles, les magasins de nouveautés, les chemins de fer, les mines, et les êtres humains égarés dans ces milieux n’y jouaient plus que le rôle d’utilités et de figurants ; mais Zola était Zola, c’est-à-dire un artiste un peu massif, mais doué de puissants poumons et de gros poings.

Nous autres, moins râblés et préoccupés d’un art plus subtil et plus vrai, nous devions nous demander si le naturalisme n’aboutissait pas à une impasse et si nous n’allions pas bientôt nous heurter contre le mur du fond.

À vrai dire, ces réflexions ne surgirent en moi que bien plus tard. Je cherchais vaguement à m’évader d’un cul-de-sac où je suffoquais, mais je n’avais aucun plan déterminé et À Rebours, qui me libéra d’une littérature sans issue, en m’aérant, est un ouvrage parfaitement inconscient, imaginé