Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/163

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goutte d’essence féminine, cristallisée dans un morceau de sucre ; ils pénétraient les papilles de la bouche, évoquaient des souvenances d’eau opalisée par des vinaigres rares, de baisers très profonds, tout imbibés d’odeurs.

D’habitude, il souriait, humant cet arome amoureux, cette ombre de caresses qui lui mettait un coin de nudité dans la cervelle et ranimait, pour une seconde, le goût naguère adoré de certaines femmes ; aujourd’hui, ils n’agissaient plus en sourdine, ne se bornaient plus à raviver l’image de désordres lointains et confus ; ils déchiraient, au contraire, les voiles, jetaient devant ses yeux la réalité corporelle, pressante et brutale.

En tête du défilé des maîtresses que la saveur de ce bonbon aidait à dessiner en des traits certains, l’une s’arrêta, montrant des dents longues et blanches, une peau satinée, toute rose, un nez taillé en biseau, des yeux de souris, des cheveux coupés à la chien et blonds.

C’était miss Urania, une Américaine, au corps bien découplé, aux jambes nerveuses, aux muscles d’acier, aux bras de fonte.

Elle avait été l’une des acrobates les plus renommées du Cirque.

Des Esseintes l’avait, durant de longues soirées, attentivement suivie ; les premières fois, elle lui était apparue telle qu’elle était, c’est-à-dire solide et belle, mais le désir de l’approcher ne l’étreignit point ; elle n’avait rien qui la recommandât à la convoitise d’un blasé, et