Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/151

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des mois, s’obcurcissait à mesure qu’il s’attachait à la mettre en pleine lumière. Il revoyait certains de ses traits, mais l’ensemble dansait. Vaguement, au plus, il apercevait en se recueillant, des yeux vifs et fureteurs, une taille mince et souple, une tournure élégante dans une petite robe, un bout de nez retroussé sous des cheveux blonds, d’adorables bras, un pied effilé, des mains mignonnes, une laideur agaçante et sournoise, mais quelqu’effacée et quelqu’incomplète que fût l’image qui se présentait à lui, il sentait qu’entre mille, dans la rue, il la reconnaîtrait.

Soudain, dès que son esprit se fut arrêté sur Jeanne, il n’en bougea plus. Fatigué de songer à sa femme dont les grâces avivées par l’absence, lui avaient paru plus charmantes qu’elles n’étaient en réalité et dont l’évocation lui laissait, malgré tout, de sourdes colères, il en arrivait fatalement à se raccrocher au souvenir de la seule maîtresse qui l’eût attiré et le même phénomène se reproduisait. Il ne se remémorait plus que les qualités de Jeanne, parvenait à les trouver supérieures à celles de Berthe, moins idéalisée par une absence plus courte, et renversée d’ailleurs de son piédestal dès que la scène de leur rupture venait se poser comme un point ferme dans toutes ces fluctuations du rêve.

Qu’était devenue cette fille ? Délicate et frêle, elle avait jadis l’inquiétante pâleur d’une parfumeuse elle était morte sans doute et, subitement, il fut pris d’un attendrissement puéril pour cette femme qu’il