Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

logne-sur-Mer. Jeanne n’avait pas eu le courage de l’embrasser avant son départ.

À quoi bon nous désoler ? écrivait-elle, ce sera moins pénible ainsi ; et elle ajoutait : au moment où ma lettre t’arrivera, je serai sur le paquebot, en mer.

André tomba dans un fauteuil.

Alors, c’était fini. Jeanne aussi le lâchait ! Sa vie était complète maintenant, elle pouvait se résumer de la sorte : avoir été berné par ses maîtresses, cocufié par sa femme et lâché par Jeanne ! Et il sentait de la colère contre l’amant de la petite. – Quel niais ! Je vous demande un peu, ça avait à peine vingt-deux ans et ça se mariait ! Il avait donc bien hâte d’être aussi trompé ou, ce qui est pis, sans doute, de ne l’être pas, grâce seulement aux désastres des couches et à toutes ces infirmités spécialement inhérentes aux petites b ourgeoises ! Comme s’il n’aurait pas mieux valu qu’il restât avec Jeanne, qu’il continuât de posséder en elle une maîtresse docile, qu’enfin il ne désorganisât pas, dans son propre intérêt, le train-train de trois existences s’acheminant parallèlement heureuses !

Au fond, j’ai tort, se dit-il, ce n’est pas à ce monsieur que je puis en vouloir, c’est à moi-même, c’est à l’argent qui me manque ! Jeanne ne serait pas à Londres si le l’avais aidée, et il comprit presque l’ignominie de la foule, l’abjection de la société buvant le nez dans la boue, à plat ventre, l’ordure, sacrifiant l’amitié, les convictions, tout, à cet argent qui rend impeccable et grandiose, qui domine les tribu-