Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/306

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que ses clous percèrent, elle continua néanmoins à le bercer ; mais, vers les midi, elle s’absenta, chaque jour, régulièrement, pendant deux heures.

Le peintre s’alarma ; à la voir si casanière et si placide, il n’avait plus songé combien l’existence de cette femme était problématique. Mélie acceptait bien sa part des repas qu’elle cuisinait chez lui, mais enfin il y avait le loyer, l’entretien, le blanchissage. Où se procurait-elle l’argent nécessaire pour parer à ces dépenses ?

Elle travaillait souvent à des ouvrages de passementerie, disposant sur un morceau de bois hérissé de pointes qui formaient un dessin, de la ganse qu’elle cousait et piquait de petites perles en verre noir, recueillies dans son tablier et collées par de la salive sur le pouce de sa main gauche. Mais outre qu’elle n’avait plus les yeux assez vifs pour enfiler rapidement ces perles, trouées à chaque bout, d’un coup d’aiguille, ce travail était trop mal rémunéré pour qu’il pût suffire aux besoins d’une femme. Trente-deux sous, en bûchant de sept heures du matin à minuit, c’était ce qu’elle pouvait, en se hâtant, gagner ; il devait donc exister un ou deux Messieurs qui aidaient la pauvre fille ; ses absences se trouvaient par cela même justifiées ; et pourtant, quand il examinait Mélie, Cyprien s’étonnait. Ce qu’elle n’était ni appétissante, ni libertine !

Il faudrait supposer, se dit-il, qu’il est dans Paris un ou deux impotents de mon espèce, des gens fanés et doux, tenant à une maîtresse pour des motifs différents de ceux qui déterminent l’humanité depuis des