Page:Huysmans - En rade.djvu/23

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reprit la tante Norine d’un air las ; et elle expliqua que la Lizarde, sa meilleure vache, allait mettre bas.

— Eh mais, dit Jacques, un veau ça se vend bien ; c’est pour vous une belle aubaine.

— Mais oui… mais oui… mais c’est qu’elle en a du mal à vêler ; ça peut lui prendre dans la nuit et lui durer tant qu’au lendemain soir ; et puis, qu’elle a une grande échauffure ; si le viau mourait et qu’il arrive malheur à la Lizarde, ça serait quasiment cinq cents francs de perdus. Eh là ! on a belle d’être inquiets, allez !

Et ils commencèrent les doléances habituelles aux paysans : — On avait ben du mal à vivre, on s’échine et quoi que ça rapporte, la terre ? à peine deux et demi du cent. Si on n’élevait pas le bestial, quoi qu’on deviendrait ; aujourd’hui, le blé, il s’achète pour ainsi dire rien, par rapport aux étrangers. Nous finirons par planter du peuplier, reprit le vieux, ça rend tout seul un franc l’an, par pied. Pardi oui, c’est pas comme chez vous où, sauf votre respect, l’on gagne une couple d’écus le temps qu’on se tourne !

Il s’interrompit pour atteindre la bougie dont la mèche champignonnait. Quoi donc qu’elle a à clicotter comme cela, fit-il, et il ferma son couteau dessus coupant entre la lame et la rainure du manche le bout charbonneux des fils.