Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voie étroite, comme l’appelle l’Église ; on y est mené, projeté, malgré soi souvent, et la résistance est impossible ; les phénomènes se succèdent et rien au monde n’est de force à les enrayer, exemple sainte Térèse qui, bien qu’elle se défendît par humilité, tombait en extase sous le souffle divin et s’enlevait du sol.

Non, ces états surhumains m’effraient et je ne tiens pas, par expérience, à les connaître. Quant à saint Jean de la Croix, l’abbé n’a pas tort de le déclarer unique, mais bien qu’il taraude les couches les plus profondes de l’âme et atteigne là où jamais la tarière humaine n’a pénétré, il me gêne quand même, dans mon admiration, car son œuvre est pleine de cauchemars qui m’interdisent ; je ne suis pas bien certain avec cela que ses géhennes soient exactes ; enfin certaines de ses affirmations ne me convainquent pas. Ce qu’il appelle « la Nuit obscure » est incompréhensible ; les souffrances de cette ténèbre dépassent le possible, s’écrie-t-il, à chaque page. Ici, je perds pied. Je m’imagine bien, pour les avoir ressenties, des douleurs morales, atroces, des décès de parents ou d’amis, des amours déçues, des espoirs effondrés, des misères spirituelles de toute sorte, mais ce martyr-là qu’il déclare supérieur aux autres, m’échappe car il est hors de nos intérêts humains, hors de nos affections ; il se meut dans une sphère inaccessible, dans un monde inconnu et si loin de nous !

J’ai décidément peur qu’il n’y ait abus de métaphores et gongorisme d’homme du Midi, chez ce terrible Saint !

Au reste, voici encore un point où l’abbé m’étonne. Lui qui est si doux, témoigne d’un certain penchant