Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/188

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Le Doit est terrible. — Ramasser sa vie et la jeter dans l’étuve d’un cloître ! Mais encore faudrait-il savoir si le corps est en état de supporter un remède pareil ; le mien est fragile et douillet, habitué à se lever tard ; il tombe en faiblesse quand il n’est pas réconforté par le sang des viandes et des névralgies surviennent, aussitôt que les heures des repas changent. Jamais je n’arriverai à tenir là-bas avec des légumes cuits dans de l’huile chaude ou dans du lait ; d’abord, je déteste la cuisine à l’huile et j’exècre d’autant plus le lait que je le digère mal.

Ensuite, je me vois à genoux, par terre, pendant des heures, moi qui ai tant souffert à la Glacière pour être resté dans cette posture pendant un quart d’heure à peine sur une marche.

Enfin, j’ai une telle habitude de la cigarette qu’il me serait absolument impossible d’y renoncer ; or, il est à peu près certain qu’on ne me laissera pas fumer dans un couvent.

Non, véritablement, au point de vue corporel, ce départ est insane ; dans l’état de santé où je suis, il n’y a pas un médecin qui ne me dissuaderait de tenter un semblable risque.

Si je me place maintenant au point de vue spirituel, je dois bien reconnaître aussi qu’une entrée à la Trappe est effrayante.

Il est à craindre, en effet, que ma sécheresse d’âme, que mon défaut d’amour ne persistent ; alors que deviendrai-je dans un tel milieu ? Puis il est également probable que, dans cette solitude, dans ce silence absolu, je m’ennuierai à mourir et, s’il en est ainsi, quelle existence que celle qui consistera à arpenter une cellule, en com-