Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/216

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la Foi, le coup d’aiguillon qui vous jetterait en larmes aux pieds du Christ. Ah ! la « Douloureuse Passion » de la sœur Emmerich !

Celle-là n’était point un chimiste de l’être spirituel, comme sainte Térèse ; elle ne s’occupait pas de notre vie intérieure ; dans son livre, elle s’oubliait et nous omettait, car elle ne voyait que Jésus crucifié et voulait seulement montrer les étapes de son agonie, laisser, ainsi que sur le voile de Véronique, l’empreinte, marquée sur ses pages, de la Sainte Face.

Bien qu’il fût moderne — car Catherine Emmerich était morte en 1824 — ce chef-d’œuvre datait du Moyen Age. C’était une peinture qui semblait appartenir aux écoles primitives de la Franconie et de la Souabe. Cette femme était la sœur des Zeitblom et des Grünewald ; elle avait leurs âpres visions, leurs couleurs emportées, leur odeur fauve ; mais elle paraissait relever aussi, par son souci du détail exact, par sa notation précise des milieux, des vieux maîtres flamands, des Roger Van Der Weyden et des Bouts ; elle avait réuni en elle les deux courants issus, l’un de l’Allemagne, l’autre des Flandres ; et cette peinture, brossée avec du sang et vernie par des larmes, elle la transposait en une prose qui n’avait aucun rapport avec la littérature connue, une prose dont on ne pouvait, par analogie, retrouver les antécédents que dans les panneaux du XVe siècle.

Elle était d’ailleurs complètement illettrée, n’avait lu aucun livre, n’avait vu aucune toile ; elle racontait tout bonnement ce qu’elle distinguait dans ses extases.

Les tableaux de la Passion se déroulaient devant elle, tandis que, couchée sur un lit, broyée par les souffrances,