Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/269

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et, par la loi des complémentaires, toutes les lettres, imprimées à l’encre noire, se teindre en vert.

Il s’amusait de ces détails, s’épanouissait, le dos au chaud, dans cette brise chargée d’aromes, se reposait, dans ce bain de lumière, des fatigues de la nuit, quand, au bout de l’allée, il aperçut quelques frères. Ils marchaient, silencieux, les uns, portant sous un bras de grands pains ronds, les autres, tenant des boîtes au lait ou des mannes pleines de foin et d’œufs ; ils défilèrent devant lui et le saluèrent respectueusement.

Tous avaient la mine joyeuse et grave. Ah ! les braves gens, se dit-il, ce qu’ils m’ ont, ce matin, aidé, car c’est à eux que je dois d’avoir pu ne pas me taire, d’avoir pu prier, d’avoir enfin connu la joie de l’oraison qui n’était pour moi à Paris qu’un leurre ! à eux et surtout à Notre-Dame de l’Atre qui a eu pitié de mon pauvre être !

Il bondit de son banc, dans un élan d’allégresse, s’engagea dans des allées latérales, atteignit la pièce d’eau qu’il avait entrevue, la veille ; devant elle se dressait la formidable croix qu’il avait distinguée de loin du haut de la voiture, dans les bois, avant que d’arriver à la Trappe.

Elle était plantée en face du monastère même et tournait le dos à l’étang ; elle supportait un Christ du XVIIIe siècle, grandeur nature, en marbre blanc ; et l’étang affectait, lui aussi, la forme d’une croix, telle qu’elle figure sur la plupart des plans des basiliques.

Et cette croix brune et liquide était granulée de pistache par des lentilles d’eau que déplaçait, en nageant, le cygne.

Il vint au-devant de Durtal, et il tendit le bec, attendant sans doute un bout de pain.