Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/350

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voque le souvenir de cet exorbitant saint Joseph de Cupertino dont l’oblat parlait hier.

Celui-là, qui s’appelait lui-même frère Ane, était un délicieux et pauvre être, si modeste, si borné qu’on le chassait de partout. Il passe dans la vie, la bouche ouverte, se cognant, ahuri, contre tous les cloîtres qui le repoussent. Il vagabonde, inapte à remplir même les besognes les plus viles. Il a, comme dit le peuple, des mains en beurre, il casse tout ce qu’il touche. On lui commande d’aller chercher de l’eau, et, il erre, sans comprendre, absorbé en Dieu, finit, quand personne n’y pense plus, par en apporter au bout d’un mois.

Un monastère de Capucins, qui l’avait recueilli, s’en débarrasse. Il repart, vague, désorbité, dans les villes, échoue dans un autre couvent où il s’emploie à soigner les animaux qu’il adore ; et il surgit dans une perpétuelle extase, se révèle le plus singulier des thaumaturges, chasse les démons et guérit les maux. Il est tout à la fois idiot et sublime ; dans l’hagiographie, il reste unique et semble y figurer pour fournir la preuve que l’âme s’identifie avec l’Eternelle Sagesse, plus par le non-savoir que par la science.

Et, lui aussi, il aime les bêtes, se disait Durtal, en contemplant le vieux Siméon ; et, lui aussi, il poursuit le Malin et opère par sa sainteté des guérisons.

Dans une époque où tous les hommes sont exclusivement hantés par des pensées de luxure et de lucre, elle paraît extraordinaire l’âme décortiquée, l’âme candide et toute nue, de ce bon moine. Il a quatre-vingt ans sonnés, et il mène, depuis sa jeunesse, l’existence sommaire des Trappes ; il ne sait probablement pas dans