Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/433

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cela devient presque impossible, car le cœur lève. Et il faut s’enfourner quand même cette pâtée chaude, l’absorber en quantité suffisante pour ne pas faiblir jusqu’au lendemain ; on se regarde, découragés, n’en pouvant plus ; il n’y a pas d’autre mot pour définir notre dîner au mois d’août, c’est un supplice.

— Et tous, le P. abbé, le prieur, les pères, les frères, tous ont la même nourriture ?

— Tous. Venez visiter maintenant le dortoir.

Ils montèrent au premier. Un immense corridor, garni, tel qu’une écurie, de box de bois, s’étendait, fermé à chacun de ses bouts par une porte.

— Voici notre logis, fit le moine, en s’arrêtant devant ces cases. Des pancartes étaient placées au-dessus d’elles, affichant le nom de chaque moine et la première arborait sur son étiquette cette inscription : le père abbé.

Durtal tâta le lit accoté contre l’une des deux cloisons.

Il avait l’aspérité d’un peigne à carder et le mordant d’une râpe. Il se composait d’une simple paillasse piquée, étendue sur une planche ; pas de draps, mais une couverture de prison en laine grise ; à la place des oreillers un sac de paille.

— Dieu que c’est dur ! s’écria Durtal, et le moine rit.

— Nos robes amortissent la rugosité de ce faux matelas, dit-il, car la règle ne nous permet pas de nous déshabiller ; nous pouvons seulement nous déchausser ; aussi dormons-nous tout vêtus, la tête enveloppée dans notre capuce.

— Et ce qu’il doit faire froid dans ce corridor balayé par tous les vents ! ajouta Durtal.

— Sans doute, l’hiver est farouche ici ; mais ce n’est