Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/450

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qu’à certains moments le Démon nous persécute, il nous donne, en échange, tant de bonheur qu’il n’y a plus aucune proportion de gardée entre la récompense et la peine. Parfois, quand j’y songe, je me demande comment il subsiste encore cet équilibre que les moniales et les moines sont chargés de maintenir, car, ni les uns, ni les autres, nous ne souffrons assez pour neutraliser les offenses assidues des villes.

L’abbé s’interrompit, puis il reprit pensif :

— Le monde ne conçoit même pas que les austérités des abbayes puissent lui profiter. La doctrine de la suppléance mystique lui échappe complètement. Il ne peut se figurer que la substitution de l’innocent au coupable, alors qu’il s’agit de subir une peine méritée, est nécessaire. Il ne s’explique pas davantage qu’en voulant pâtir pour les autres, les moines détournent les colères du Ciel et établissent une solidarité dans le bien qui fait contre-poids à la fédération du mal. Et Dieu sait pourtant de quels cataclysmes ce monde inconscient serait menacé, si, par suite d’une disparition soudaine de tous les cloîtres, cet équilibre qui le sauve était rompu !

— Le cas s’est déjà présenté, fit Durtal qui, — tout en écoutant ce trappiste, pensait à l’abbé Gévresin et se rappelait que ce prêtre s’exprimait, sur le même sujet, en des termes presque pareils. — La Révolution a, en effet, supprimé, d’un trait de plume, tous les couvents, mais, j’y songe, l’histoire de ce temps, sur lequel tant de regrattiers s’acharnent, est encore à écrire. Au lieu de chercher des documents sur les actes, sur les personnes mêmes des Jacobins, il faudrait dépouiller les ar-