Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/246

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qui nous manque, c’est justement un moule où nous puissions couler les débutants. Je sais bien que, dans certaines maisons de notre congrégation, on juge ces procédés de culture mesquins et déprimants ; l’on n’y parle que de dilater l’âme. Hélas ! On ne la dilate pas, on l’abandonne à elle-même.

Et puis, je veux bien croire que, pendant le temps de la probation, l’on réussira à inculquer l’esprit de discipline, à susciter le goût de la vie intérieure aux novices — et après ? Quand ces âmes, comprimées, auront échappé aux épreuves du noviciat et qu’elles auront franchi le délai, après lequel cesse la surveillance de la jeune paternité, elles détendront leur ressort et c’est à ce moment-là que le danger commence ; il faudrait continuer à les tenir en bride, et les mâter par une occupation absorbante, par un travail assidu, voire même par des labeurs corporels pénibles.

Et c’est le contraire qui a lieu ; le Bénédictin soi-disant mûr, est libre ; ne travaille que celui qui veut ; et c’est bien tentant de ne rien faire ; on finit par se laisser aller, par s’arranger une existence de rentier tranquille ; et le religieux qui ne travaille pas, bavarde, dérange les autres, fomente des brigues. Ainsi que le dit très bien notre père saint Benoît, l’oisiveté est l’ennemie de l’âme « otiositas inimica est animae ».

— Oui, l’on devient des ronds-de-cuir pieux et l’office lui-même sent la conserve, avec ses psaumes marinés dans la saumure de leur chant.

Le P. Emonot sourit d’assez mauvaise grâce.

— Vous avez une façon naturaliste d’envisager les choses et de les résumer qui est plus que singulière.