Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/254

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évoquer l’esprit de ces royales Ostiaires, les contraindre à parler, nous faire assister à l’entretien qu’elles ont peut-être, quand elles paraissent se reculer sous la voûte, se retirer chez elles, le soir, derrière un rideau d’ombre ?

Que se disent-elles, elles qui ont vu Saint Bernard, Saint Louis, Saint Ferdinand, Saint Fulbert, Saint Yves, Blanche de Castille, tant d’Elus, défiler devant elles, alors qu’ils entrèrent dans les ténèbres étoilées de la nef ? Causent-elles de la mort de leurs compagnes, de ces cinq statues qui disparurent pour jamais de leur petit cénacle ? écoutent-elles, au travers des vantaux fermés de la porte, souffler le vent désolé des psaumes et mugir les grandes eaux de l’orgue ? Entendent-elles les exclamations saugrenues des touristes qui rient de les voir et si roides et si longues ? Sentent-elles, ainsi que tant de Saintes, l’odeur des péchés, le relent de vase des âmes qui les frôlent ? Alors, ce serait à ne plus oser les regarder… Et Durtal les regardait quand même, car il ne pouvait se séparer d’elles ; elles le retenaient par le charme constant de leur énigme ; en somme, reprenait-il, elles sont, sous une apparence réelle, extra-terrestres. Leurs corps n’existent pas, leurs âmes habitent à même dans les gangues orfèvries des robes ; elles sont en parfait accord avec la Basilique qui s’est, elle-même, désincarnée de ses pierres et s’enlève, dans le vol de l’extase, au-dessus du sol.

Le chef-d’œuvre de l’architecture et de la statuaire mystiques sont ici, à Chartres ; l’art le plus surhumain, le plus exalté qui fut jamais, a fleuri dans ce pays plat de la Beauce.