Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/367

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le vin bleu de la mystique, mais ce n’était pas le sirop de flon des premiers peintres de Cologne !

Ah ! le souffle mystique qui fait que l’âme d’un artiste s’incorpore dans de la couleur, sur une toile, dans de la pierre sculptée, dans de l’écriture, et parle aux âmes des visiteurs aptes à le comprendre, combien le possédèrent ? ruminait Durtal, en fermant son carnet de voyage. En Allemagne, il a surgi chez les bandits de la peinture ; en Italie, si nous laissons, avec son élève Benozzo Gozzoli, le dernier peintre du Moyen Age l’Angelico dont les œuvres reflètent ses aîtres de Saint, sont des projections colorées de sa vie intime ; si nous écartons aussi ses précurseurs, Cimabue, les restes figés de l’école Byzantine, Giotto qui dégèle ces images immobiles et confuses, les Orcagna, Simone di Martino, Taddeo Gaddi, les vrais Primitifs, combien d’adroites supercheries de grands peintres singeant la note religieuse, l’imitant, à force de ruse, à s’y méprendre !

Plus que tous, les Italiens de la Renaissance ont excellé dans cet art de feindre ; et ils sont relativement rares, ceux qui, comme Botticelli, ont la franchise d’avouer que leurs Vierges sont des Vénus et leurs Vénus des Vierges. Le musée de Berlin, où il s’atteste en d’exquises et de triomphantes toiles, nous renseigne sur ce point, en nous montrant, côte à côte, les deux genres.

D’abord une Vénus extraordinaire, nue, aux cheveux d’or pur ramenés par une main sur le ventre, détache, sur un fond de noir d’encre de Chine, des chairs blanches, et nous regarde avec des yeux gris, noyés dans une eau qui se gâte, liserés par des paupières de petit lapin, des paupières roses ; elle a dû beaucoup pleurer