Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/42

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qu’en des figures indécises, ne parvenaient pas à se coaguler, à prendre corps. Le méfait le plus obsédant de tous, celui qui l’avait tant torturé, le méfait des sens, se taisait enfin, le laissait calme. La Trappe avait déraciné les souches des anciennes luxures ; leur souvenir le hantait bien parfois, dans ce qu’il avait de plus affligeant, de plus ignoble, mais il les regardait passer, le cœur sur les lèvres, s’étonnant d’avoir été si longtemps la dupe de ces malpropres manigances, ne comprenant même plus la puissance de ces mirages, l’illusion de ces oasis charnelles, rencontrées dans le désert d’une existence, confinée à l’écart, dans la solitude et dans les livres.

Son imagination pouvait le supplicier, mais, sans mérite, sans lutte, par une grâce toute divine, il avait pu ne pas mésavenir depuis son retour du cloître.

Par contre, s’il était en quelque sorte éviré, s’il était absous du plus gros de ses peines, il voyait s’épanouir en lui une nouvelle ivraie dont la croissance s’était jusqu’alors dissimulée derrière les végétations plus touffues des autres vices. Au premier abord, il s’était jugé moins sous la dépendance des péchés, et moins vil ; et il était cependant aussi étroitement attaché au mal ; seulement, la nature et la qualité des liens différaient, n’étaient plus les mêmes.

Outre cet état de siccité qui faisait que, dès qu’il entrait dans une église ou s’agenouillait chez lui, il sentait le froid lui geler ses prières et lui glacer l’âme, il discernait les attaques sourdes, les assauts muets d’un ridicule orgueil.

Il avait beau se tenir sur ses gardes, chaque fois il était surpris sans même avoir le temps de se reconnaître.