Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/54

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parachever cette évocation, par la saveur, par le flair, je n’ai qu’à mâcher ces biscuits que l’on fabrique maintenant avec je ne sais quoi et qui sentent la colle de poisson et le plâtre sur lequel il a plu, dès qu’on y goûte ! que je mange de cette pâte fade et froide, en reniflant un relent d’armoire et aussitôt la cinéraire image d’un district perdu, me hante ! Evidemment votre Chartres pue ça !

— Oh ! oh ! s’exclama Mme Bavoil — mais vous n’en savez rien puisque vous n’avez jamais visité cette ville !

— Laissez-le dire, fit l’abbé qui riait. Il reviendra de ces préventions. Et il ajouta :

— Expliquez ces inconséquences ; voici un Parisien qui aime si peu sa cité qu’il choisit, pour y habiter, le coin le moins bruyant, le plus obscur, celui qui ressemble le plus à un quartier de province. Il a horreur des boulevards, des promenades fréquentées, des théâtres ; il se confine en un trou et se bouche les oreilles pour ne pas entendre les rumeurs qui l’entourent ; et alors qu’il convient de perfectionner ce système d’existence, de mûrir dans un silence authentique, loin des foules, alors qu’il importe de renverser les termes de sa vie, de devenir, au lieu d’un provincial de Paris, un Parisien de province, il s’ébaubit et s’indigne !

— Le fait est, pensait Durtal, une fois seul, le fait est que la capitale m’est sans profit. Je n’y vois plus personne et je serai réduit à une solitude encore plus absolue quand mes amis l’auront quittée. Au fond, je serais tout aussi bien à Chartres ; j’y étudierais à l’aise, dans un milieu paisible, dans les parages d’une cathédrale autrement intéressante que Notre-Dame de Paris