Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/137

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dans la digue de son corsage et séparés par une fente où perlaient des gouttes, et, ramassant sa jupe avec les poings, elle batifola du museau et, trottinant, s’enfuit, assourdie par une mitraille de bravos et de bis.

Désirée était pâle d’admiration. D’abord ces couplets étaient poignants ; il y avait une femme qui pleurait son enfant mort et maudissait la guerre, et l’on n’entend pas des choses aussi émouvantes sans que les larmes vous montent aux yeux, puis la chanteuse lui paraissait belle comme une reine, avec ses bracelets, ses pendeloques et la queue mouvante de sa jupe ; elle se rendait bien compte que les joues étaient recrépies et les yeux bordés, mais aux lumières, dans cet éblouissement du décor, cette femme enchantait quand même avec son luxe de chairs mastiquées et de soies peintes. Auguste voguait aussi en plein enthousiasme. Ce rêve impossible à réaliser pour un homme honnête et pauvre, posséder à soi pendant un quart d’heure une fille aussi en vue, une fille aussi éclatante de jeunesse apprêtée et de grâce lui troubla la cervelle, et il contemplait la scène vide, les yeux agrandis et la bouche ouverte. Désirée trouva que cette admiration devenait inconvenante et elle le pinça. Il eut le sursaut d’un homme qu’on réveille, puis, devant le sourire de la petite qui