Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/150

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qui me chaussent bien, mais qui me font mal aux pieds. C’était plus une vie, à la fin du compte !

Écoute un peu comment je m’y suis prise. Quand je suis entrée, Cyprien était devant son tableau, avec une lampe et une machinette dessus qui rendait la pièce très sombre et sa toile très claire. Il peignait une femme, en balade, le soir. Il m’a embrassée, mais il ne s’est pas dérangé, il a continué à poser du rouge sur les lèvres de sa femme. Je l’aurais tué ! Je me suis dit : Ça va claquer ; je crache sur le mastic, moi, j’en ai assez ; et puis j’ai réfléchi qu’il valait mieux ne pas brusquer les hommes timides, et comme j’étais embarrassée de mes mains et que je cherchais quelque chose à dire, j’ai tripoté ses tubes, je m’amusais à les dévisser et à les faire juter sur sa palette. Je me suis fourré de la couleur plein les doigts ; alors il m’a emmenée dans son cabinet de toilette, un petit cabinet grand comme un mouchoir, et il m’a versé de l’eau dans une cuvette. — Nous étions forcément serrés, l’un contre l’autre, puisqu’il n’y avait pas de place ; je lui jetais des gouttes avec les ongles, en riant ; il a crié : finis ou je t’embrasse ! — J’ai continué, il m’a prise à bras-le-corps et, pendant que je me débattais, il m’a collé une douzaine de baisers de tous les côtés de la tête.

Il me tenait par la taille lorsque nous sommes rentrés dans l’atelier, et puis, quand il a été assis