Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/187

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dix centimes. Leur bonheur eût été complet si trois jeunes gens n’étaient venus s’installer près d’eux. Ils avaient été insupportables, soutenant qu’ils sentaient un parfum de cadavre et de lapin rôti. Le garçon qui les servait était positivement scandalisé. Il avait raison d’ailleurs ; quand on ne veut pas d’une chose, il ne faut pas en dégoûter les autres. Le fait est que Désirée en vint à croire que le cimetière envoyait, de temps en temps, des bouffées fades ; Auguste le niait, mais à la fin pourtant, comme les jeunes gens continuaient leur mauvaise plaisanterie, tout en fumant des cigarettes entre chaque plat, il s’avoua qu’ils avaient peut-être raison et que ce jardin fleurait l’odeur des tombes chauffées par l’outrance des soleils, l’été.

Désirée était très gênée. — Les trois jeunes gens la regardaient trop. L’un d’eux, un brun avec des yeux d’Arabe et une barbe noire, en fourche, lui jetait des coups d’œil polissons ; un autre, un maigre, blond, avec une barbe en éventail et un nez busqué, la détaillait d’un air narquois ; le troisième enfin, avec un pince-nez, des cheveux frisés et ramenés en arrière, une moustache en brosse, semblait pris de pitié pour Auguste. Elle hâta le repas et voulut aller boire le café ailleurs.

Auguste, lui, avait mieux pris les choses. Il