Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/214

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tous ces hommes qui l’excitaient pour la faire parler, elle exposa, un soir, carrément ses idées sur la littérature et sur la peinture. Elles pouvaient se résumer en ceci : dans un roman elle voulait des crimes, dans un tableau des choses douces. Elle obtint un succès de fou rire.

Une seule fois, elle avait été écoutée avec quelque attention ; alors qu’elle s’était mise à raconter la querelle survenue entre son patron et le contre-maître.

Le patron était, paraît-il, un monsieur bien, qui s’occupait des affaires du dehors, mais ne connaissait pas du tout le travail de la brochure. Le contre-maître était un coquin de la pire espèce qui s’était rendu indispensable, en mettant tous les bons ouvriers dehors, en brouillant l’ordre des piles, cachant des feuilles, enfouissant dans des coins les couvertures. Quand il était absent ou malade, c’était un désarroi. — L’on ne trouvait plus rien. — Il abusait alors de la situation, réclamant des augmentations successives, imposant la présence de son fils, un affreux drôle chassé de tous les ateliers pour son inconduite et le patron cédait, très pâle, après ces disputes, préférant subir toutes ces avanies plutôt que d’assister à la déroute de sa maison. Les exigences du contre-maître croissaient comme de juste à mesure que l’ouvrage devenait plus pressé