Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/257

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La vue de cette fille jeta la désolation dans l’âme de Céline. Si elle avait été une pauvre souillon, vêtue de bribes ramassées chez un frelampier, si elle avait eu les joues creusées par la noce et comblées par les plâtres, Céline n’eût certainement pas été torturée par cette jalousie qui la poigna. Sa rivale étant avenante, elle aurait voulu la supplanter auprès d’Anatole.

Le peintre ne fut point sans s’apercevoir de ce changement. Le premier symptôme auquel il reconnut que sa maîtresse pouvait le trahir fut un silence absorbé, une ardeur à lui désobéir, une propension à ne plus venir régulièrement chez lui.

Mais le jour où il eut vraiment peur, ce fut celui où Céline lança un mot qui lui ouvrit des horizons. Dans l’espoir d’exciter sa jalousie, elle lui avait parlé de ses amours éteintes, s’appesantissant davantage sur ses relations avec Anatole. Elle disait : — Celui-là, c’était du peuple comme moi, nous nous entendions ; il me grugeait, il me volait, mais c’est égal, il était aimant ; il était pas comme d’autres qui sont des glaces, qui vous considèrent comme de pauvres gnolles, comme des rien-du-tout qu’on ne battrait même pas !