Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/20

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La stupeur fut si considérable que les contemporains ont conservé de curieux souvenirs de ce temps. « Je me souviens, a écrit M. Prozor, d’une saison où l’on voyait circuler à Stockholm des cartes d’invitation avec cette note au bas : « On est prié de ne pas s’entretenir de Maison de Poupée ».[1]

C’était la question palpitante, c’était l’Affaire pour les esprits échauffés du Nord.

Un autre rapporte l’histoire de cinq fillettes, dont la plus âgée avait douze ans, qui prenaient alors le thé dans une nursery et déclaraient gravement que si elles étaient Nora, elles n’auraient pas agi autrement.

Et au lendemain d’Une Maison de Poupée, Bjornson, faisant écho à Ibsen, écrivait Un Gant où l’on entendait sa Svava proclamer nettement les principes méconnus de l’égalité absolue entre l’homme et la femme et poser dans la plus superbe et la plus naïve intransigeance le problème de la virginité réciproque que les futurs époux se doivent l’un à l’autre.

Derrière eux venait le flot des écrivains féministes, madame Leffler la future duchesse de Cajanello, madame Benediksen et tant d’autres amazones s’unissant pour lever le drapeau de l’indépendance féminine et revendiquer haut et ferme les droits de la prétendue opprimée.

Chez nous, l’émancipation de la femme n’a jamais correspondu qu’à la revendication de la liberté sexuelle. Quand George Sand créait Lélia et toutes ses sœurs, c’était au nom de la ruine des privilèges du mari qui

  1. Une Maison de Poupée est la vraie traduction. M. Ernest Tissot a proposé Intérieur de Poupée, ce qui serait un contre sens, car Ibsen n’a jamais pensé qu’on ouvrît sa poupée pour voir ce qu’il y avait dedans.