Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/23

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Cependant, il faut bien le reconnaître, Ibsen, qui est un auteur dramatique encore plus qu’un moraliste, s’est préoccupé par dessus tout de poser le problème de façon à le résoudre en faveur de sa thèse. C’était son droit, un auteur dramatique n’étant pas tenu à la sérénité d’appréciation qui doit être le fait du critique et du philosophe.

Il a donc jeté tout l’intérêt du côté de Nora, donnant fort peu d’attrait à l’âme sèche, égoïste et bourgeoise de Torvald, qui ne doit ses qualités apparentes qu’à l’affection enfantine et respectueuse que Nora déploie à les dépeindre.

La balance n’est donc pas égale entre les deux antagonistes.

La faute de Torvald, l’égotisme et l’égoïsme, qui le dominent pendant tout le troisième acte, empêchent le spectateur de peser à leur prix des arguments que, d’ailleurs, il esquisse à peine. Son émoi en présence des révélations qui lui sont faites nous paraît forcément exagéré. Si Nora était jugée par des magistrats, en qui professionnellement le jurisconsulte a atrophié le sens exact de la culpabilité morale, elle n’échapperait pas à une condamnation, bien qu’aujourd’hui, dit-on, il se rencontre de bons juges. Jugée par le jury, elle ne saurait éviter les affres de l’incarcération préventive et les hontes de la comparution devant une cour d’assises, mais un seul d’entre nous, même des fanatiques les plus asservis à l’aveugle religion du code, oserait-il prendre sur lui de la frapper d’un verdict défavorable ?

Le faux qu’a commis Nora, tel qu’elle l’a commis, ne peut tomber sous le coup d’aucune de ces pénalités que des citoyens délégués par le sort au soin de juger leurs semblables peuvent appliquer. C’est une de ces