Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/160

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Capucins que rapportait de Rome un camarade de la Villa Médicis, Granet, rendu depuis célèbre par le portrait qu’Ingres en a fait : « La vogue et l’engouement le font regorger de biens, pour avoir fait un tableau de Capucins qui, pour moi, ne sont pas même des Capucins, comme il faut l’être, aujourd’hui, pour arriver. Il est un composé d’égoïsme et d’ambition telle qu’il m’a, avec ses Capucins, toujours mis de côté à Rome, sachant bien au fond de son âme que mes tableaux sont de beaux ouvrages historiques et, par conséquent, au-dessus de la qualité de tous les Capucins du monde. Et pourtant c’est à lui et à Forbin que je dois une partie de ma mauvaise fortune, par la poca cura qu’ils ont de mes ouvrages ». Mais qu’importe l’argent, pour un artiste véritable à qui la gloire doit suffire ! Et cette gloire tardigrade qu’Ingres attend depuis si lontemps déjà, il la forcera bien à lui appartenir par cette dernière œuvre, qui sera sa plus belle et à laquelle il sacrifiera, quatre ans durant, ses trop courtes journées et ses trop longues nuits, son talent le plus magistral et son argent le plus rare, (puisque celui de l’État ne suflira même pas à l’achat des couleurs et des modèles), ses spasmes alternatifs de découragement et d’espoir qui lui feront écrire, tantôt cette phrase : « L’avenir commence à m’effrayer, et mon découragement est presque total », et tantôt cette autre : « Je fais de la peinture, comme si j’avais dix mille livres de rente, et la partie des modèles est toujours très coûteuse ; surtout lorsqu’on recommence, comme moi, des figures entières… Je suis si long, à faire un tableau et, pour mieux dire, les autres en font trois lorsque j’en fais un ! » C’est le même artiste qui écrira d’un de ses tableaux, dans un de ses 9 cahiers de notes personnelles : « Commencé le… 1807, — fini le… 1855 » ?

Et de tout cela, qu’importe encore à ce Vœu de Louis XIII qu’il faut faire à tout prix, même au