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C’est aussi à ce jeu dangereux de cœurs blessés que le sang, goutte à goutte, s’épuise et que la vie tarit enfin, à bout de sentiment, au fond des âmes tendres auxquelles le génie ne suffit point et qui voudraient aimer autant qu’elles admirent. On sait le dernier coup qui frappa le grand cœur de ce très grand artiste que fut Gros. Il exposait son Diomède, en 1835. La jalousie de ses contemporains avait tout à coup chargé en claie le char de gloire où s’étaient promenés si longtemps ses légitimes triomphes. Comprenant que le soir était venu, il quitta simplement la salle de café des environs du Palais-Royal où il avait pris l’habitude de venir, chaque après-dîner. Songeant tranquillement à ce qu’il allait faire, il longea la Seine jusqu’à un coin solitaire de Passy. Et ce fut là qu’au lendemain matin on retrouva son cadavre, le chapeau et la canne soigneusement posés sur la berge, à côté de ce grand corps de bel officier en retraite qui semblait s’être couché pour dormir là, tout au bord. Sa tête n’avait eu qu’à se pencher plus avant, vers l’eau, pour se noyer sereinement et aller chercher, vers les étoiles, des hommes moins atroces et des amitiés plus fidèles.

Les « Massacres de Scio » au Salon de 1824

— Mais, dis-je à M. Chenavard, que cette longue causerie semble faire revivre et ne fatigue nullement, mais il semble, par cet heureux début, qu’Eugène Delacroix n’eut pas trop à se plaindre des prétendues mauvaises guerres du Salon.

— Attendez la suite. Je crois, en effet, que le tempérament éminemment batailleur de mon génial camarade lui eût fait préférer la lutte, à tout triomphe facile et à toute médaille sans revers. Il eût fallu, comme moi, le voir peindre à son atelier pour deviner aux premiers pas l’homme qui, jusqu’aux derniers de la