Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/178

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épopée récente, exposait à la face du monde élonné et de la glorieuse histoire.

En 1824, c’était l’époque où le Vœu de Louis XIII nous ramenait de Rome ce frère jumeau de Raphaël que la France ravie commençait enfin à connaître et à saluer, sous le nom d’Ingres. C’était le temps où Gros, Proud’hon, Gérard et toute la nouvelle école sortie de ces maîtres robustes de la couleur brillante et du dessin serré, inauguraient cette bataille gigantesque que le romantisme s’apprêtait à livrer à l’art classique, le mouvement à la plastique, l’emprunt, à l’invention, l’idée vivante des temps modernes à l’idée morte des temps passés. C’était l’heure où le plus audacieux de ces fiers Prométhées de la lumière nouvelle, Géricault, arrivait des mers les plus profondes et les plus orageuses de l’art, sur ce Radeau de la Méduse dont aucun œil contemporain n’oublierait, dorénavant la lumière mourante et si chaude pourtant, malgré la nuit qui descendait déjà sur les débris de cette voile que son jeune pilote ne déploierait donc pas toute grande. À 32 ans, Géricault, mûr pour la tombe, se mourait… On n’a jamais bien su, par exemple, — interrompit Chenavard, — pourquoi Géricault est mort, si l’on a pu se rendre compte de quoi il est mort. La cause fut tout autre que l’accident de cheval survenu à Montmartre, et le public l’apprendra, sans doute, pour la première fois, avec quelque intérêt. Racontez-la lui, de ma part. Elle a la garantie d’un témoin véridique.

— Parlez, maître !

Un soir de l’année 1823, le peintre Charlet devait diner avec Géricault chez des amis communs, et venir prendre son camarade à l’atelier. À l’heure convenue, il entrait donc chez Géricault qui, triste, abattu, désespéré presque, lui dit :

— Mon bon Charlet, va, je te prie, tout seul au rendez-vous, et dis à nos hôtes combien je regrette de