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ser le moins possible, à ne lire que les journaux qui sont stipendiés pour voir tout en rose, à recevoir ses idées toutes faites, à s’abstenir d’examiner ce qu’on lui dit, et à faire de la politique une pure affaire de confiance aveugle dans les hommes, l’opinion s’endort, où se fausse, et devient indifférent aux plus terribles écarts ! On a façonné le public à l’idée du laisser-faire : on a conséquemment démoralisé l’opinion, et c’est une triste chose que de voir la réaction si tranquille sur les désastreuses ruines qui se produisent incessamment autour d’elle ! Le dépeuplement même du pays ne lui ouvre pas les yeux ! 500, 000 canadiens expatriés ! C’est un Évêque des États-Unis qui nous l’affirme ! Nous fondons comme neige au soleil de la confédération ! Le système nous appauvrit, nous décime, et il faut l’accepter de cœur sous peine d’irréligion !

Essentiellement aveugle le parti réactionnaire ne voit que sa domination du moment, et semble ne pas comprendre que toute action exagérée produit tôt ou tard sa réaction, nécessairement proportionnée à l’action produite,

XXX

Qu’à fait la réaction, jusqu’à présent, dans le monde, sinon produire périodiquement des révolutions, soit par incapacité de comprendre les besoins, les exigences ou les aspirations de la nature humaine ; soit par son obstination à se prononcer contre toute réforme et tout progrès ? Et quand enfin une révolution arrive, toujours par sa faute, toujours par ses refus de céder aux demander les plus légitimes, toujours par son invincible éloignement à se mettre au niveau des idées d’une époque, à accepter le progrès des institutions ; alors elle crie à fendre les rochers contre ces passions humaines dont son obstination seule à refuser toute réforme a provoqué le déchaînement ! Au lieu de creuser un lit au torrent, elle lui oppose une digue, et elle s’étonne finement ensuite que le torrent ait tout renversé !

Et, chose remarquable, elle semble avoir l’entendement irrévocablement fermé aux enseignements si répétés, si palpables, si évidents qui lui viennent de toutes parts. Partout elle voit des leçons, ou des châtiments pour les autres : mais jamais pour elle-même ! Vingt résolutions se sont faites contre elle et non-seulement elle n’y veut pas voir le doigt de Dieu, mais elle n’a pas abandonné une seule de ses prétention surannées ! Dans ce siècle où tout a marché, elle seule est restée immobile ! Elle a tenu bon vingt ans contre les chemins de fer ! Voyez la il y a mille ans, voyez-la aujourd’hui, c’est la même chose. Elle semble avoir pris pour symbole le Dieu Terme de l’antiquité ! Aussi est-elle repoussé partout ! Pas un pays où elle règne qui ne soit en ébullition constante ! Les seuls gouvernements qui n’aient aucune assiette dans l’opinion, aucunes racines dans la conscience publique, sont ceux qu’elle contrôle ou qu’elle dirige ! Sûrement il y a une raison à cela ! Les institutions qu’elle chérit sont les seules qui semblent n’avoir aucune base et qui s’écroulent d’elles-mêmes au moment où l’on y songe le moins ! On n’a qu’à souffler dessus, comme Garibaldi sur les Bourbons de Naples ; ces rois sanguinaires et parjures qui se disaient obligés en conscience de violer et renverser les constitutions qu’ils avaient juré de maintenir ; obligés en conscience de violer leurs serments !! Ces Nérons modernes qui ont, en plein dix-neuvième siècle, rétabli la torture dans leurs prisons : et qui y ont laissé commettre des infamies si innombrables qu’il ne me serait pas possible d’en effleurer seulement l’idée !

XXXI

Et ce n’est pas là le seul exemple ! Quoi de plus honteux que la chute du gouvernement autrichien en Mars 1848 ? Quoi ! l’un des plus grands gouvernements de l’Europe qui, suivant l’expression de M. de Montalembert, « s’est écroulé comme un château de cartes sous l’effort de quelques étudiants et de quelques juifs !  ! »

Et la chute des Bourbons de France en 1830, « perdus, dit M. de Loménie, qui n’est certes pas un libre-penseur, par une coterie féodale et sacerdotale dont l’ineptie passionnée s’obstinait à l’impossible ! » Dans quelles mains étaient-ils tombés ? Voici ce que nous dit M. de Châteaubriand, qui n’est pas non plus un libre-penseur : « L’évêque de St. Pol de Léon, prélat sévère et borné, rendait M. le comte d’Artois de plus en plus étranger à son siècle… et aussi, un autre évêque, savant et pieux, mais d’une telle avarice que s’il avait eu le malheur de perdre son âme, il ne l’aurait jamais rachetée ! »

Voilà certes des avis donnés par des amis ! Pourquoi la réaction n’en tient-elle jamais le moindre compte ?

Pourquoi Louis-Philippe est-il tombé, sinon parce que la réaction avait fini par tout contrôler ?

Et l’écroulement récent, et si inexplicable pour ceux-là seulement qui ont des yeux pour ne pas voir, de cette vieille nomarchie espagnole, si fortement murée contre le libéralisme ! Cet antique édifice du despotisme royal et de l’arbitraire inquisitorial n’était qu’une coque vide ! C’est sous son propre poids qu’il s’est affaissé. D’où vient cela ? Tant de faits étranges demandent une explication. Voici celle qui me paraît la plus plausible.

XXXII

Le gouvernement réactionnaire part du principe que le pouvoir n’a pas sa racine dans la nation, mais que c’est une délégation purement divine ! C’est une famille, où un homme, qui a reçu de Dieu le pouvoir de gouverner l’état. Partant, point de responsabilité.

Louis xiv inculquait avec le plus grand soin au Dauphin l’idée que le Roi n’est responsable qu’à Dieu seul, et qu’il est propriétaire des personnes et des biens de ses sujets.