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qui lui appartiennent en propre ! Or l’idée : responsable à Dieu, chez le despote, n’a aucune signification pratique, puisqu’il est le seul juge de sa propre responsabilité. Prenez les plus grands crimes de Louis XIV, ses persécutions et ses dragonnades ; les maris livrés à la torture, les épouses au soldat, les enfants de sept ans séquestrés et arrachés à leurs mères ; des hommes vénérables condamnés au martyre perpétuel des galères ou du bagne… le Roi, admettons-le, se croyait sans doute responsable à Dieu de ces actes. Mais quand le père Lachaise, ou le père Tellier, instigateurs des persécutions, lui avaient donné l’absolution, la conscience du Roi était en repos, et sa responsabilité à Dieu cessait puisqu’il avait son pardon. Confondant deux idées essentiellement distinctes, le pardon de ses fautes et ses devoirs envers son peuple, le Roi tranquillisait sa conscience sans même songer le moins du monde à l’obligation de la satisfaction, qui est pourtant le corollaire de la responsabilité. Le pardon donné ici-bas ne signifie rien en l’absence de la réparation du mal infligé à autrui. C’était donc une fausse conscience que se faisait le Roi, ou plutôt que l’on entretenait chez lui ; et il croyait sincèrement que sa responsabilité à Dieu cessait avec son absolution. Voilà le terrible danger du despotisme. Qu’une idée fausse se loge dans la tête d’un despote et les plus grandes abominations peuvent s’en suivre.

Or dans ce système, dont l’absence de responsabilité est la base, les abus pullulent nécessairement comme les mauvaises herbes ; mais comme le Roi n’est responsable à personne ici-bas, la plainte est inutile, car l’autorité ne se déjuge jamais, et maintient ses fonctionnaires, même quand ils ont tort, plutôt que d’avouer une erreur ou une faute. On persuade facilement au despote que la plainte ne vient que de l’insubordination, et de ce moment la plus juste réclamation cesse d’avoir la moindre chance d’être écoutée.

XXXIII.

Et puis si ceux qui souffrent d’abus souvent séculaires osent s’en plaindre, on met de suite en campagne le parti qui a partout été le protecteur des abus, et ce parti crie à l’idée révolutionnaire, au renversement de la religion ! Tout est toujours bien, quand il peut tirer quelque chose pour lui-même, et s’il a quelques privilèges dans l’état, peu lui importe qu’une nation souffre pourvu qu’il les conserve. Toute réforme lui est antipathique parce qu’il n’est presque pas un abus dont il ne profite indirectement. Et c’est ici que l’intolérance religieuse et l’intolérance politique se donnent la main. Attaquer les abus, c’est attaquer le pouvoir ; c’est donc attaquer Dieu même. Logique réactionnaire !

Le pouvoir despotique n’admet pas que le sujet puisse exprimer la moindre opinion sur l’administration des affaires publiques. Toute expression de blâme est un acte de rébellion. De là le taisez-vous universel. Hasardez-vous quelques conseils, comme Fénélon à Louis XIV, vous êtes un utopiste, un visionnaire, une tête exaltée, qui vous permettez de juger le pouvoir.

Celui qui est au-dessus de toute responsabilité humaine est par là même au-dessus de toute remontrance humaine. Il ne comprend que l’obéissance aveugle. C’est là la quintessence de l’intolérance ! Donc les plaintes les plus justes sont réprimées comme actes d’insubordination. Comme le disait M. de Bonald : vous n’avez pas le droit de penser tout haut ! Il doit donc forcément arriver un moment où l’indignation publique, longtemps comprimée, fait explosion. Et alors le pouvoir qui croit ne rien devoir à personnes, et qui agit d’après l’idée anti-chrétienne et impie qu’il n’a pas de responsabilité ici-bas, est renversé par une révolution dont lui seul est la cause, et que lui seul a provoquée par son obstination à se croire au-dessus du devoir !

XXXIV

Que les coupables cherchent leur excuse dans les passions humaines, dans leur déchaînement incontrôlable, cela se conçoit ; mais il n’en reste pas moins vrai que les peuples attendent et souffrent toujours bien longtemps avant de se révolter, et que ce sont les seuls pouvoirs qui ne veulent rien céder qui tombent ! La réaction aura beau crier contre les révolutionnaires, le mot de Fénélon restera toujours vrai : « Les vrais coupables d’une révolution sont ceux qui l’ont rendue nécessaire par le refus de corriger les abus. » Toutes les révolutions qui se sont faites contre la réaction n’ont jamais eu d’autre cause. Elle ne veut jamais céder : elle réclame toujours l’obéissance même dans ses plus grands torts, voilà pourquoi elle finit toujours par être brisée.

Et pourtant ce n’est pas celui qui réclame justice qui est coupable devant Dieu et devant les hommes ; c’est celui qui la refuse, surtout quand il la refuse au nom de Dieu ! Et c’est précisément là ce que fait toujours la réaction. Même dans ses massacres et ses parjures, il faut la croire inspirée. Preuve : le catéchisme politique du royaume de Naples, et aussi le catéchisme russe, dont je vous donnerai des extraits une autre fois.

L’intolérance, est donc au fond l’absence de la nation du devoir chez soi, et l’absence par conséquent, de la notion du droit chez les autres. L’intolérance c’est le négation des droits de l’homme « tel qu’il est sorti des mains de Dieu, » dit Mgr Rendu.

L’intolérant ou n’a pas lu l’évangile, ou ne l’a pas compris ; on s’en moque après l’avoir lu et compris. Donc l’intolérance, soit dans le domaine religieux, soit dans le domaine social, soit surtout dans le domaine politique, est une chose contre nature, anti-sociale, anti-chrétienne et anti-évangélique ! C’est la violation de tous les droits ; c’est donc l’anarchie