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terre, toutes plus sanglantes et plus terribles celles qui les ont précédées.

Passant de l’ancien monde au nouveau, nous voyons une guerre sanglante qui fait des ravages dans l’Amérique du Sud, tandis que, dans la partie nord du continent, nous trouvons les deux républiques du Mexique et des États-Unis qui s’efforcent de rétablir l’ordre sur leurs frontières et de recouvrer les forces perdues dans la guerre. Et ici on permettra peut-être de rappeler deux épisodes de l’histoire du pays pour indiquer la différence qui existait entre les acteurs et les intentions réelles qu’ils avaient dans les guerres qui ont dernièrement sévi au Mexique et aux États-Unis.

Accablé par le nombre, Maximilien, empereur du Mexique, se livre à ses ennemis, est jugé par une cour martiale, condamné à mort et fusillé. Aux yeux du monde entier il a été follement et inutilement assassiné, et son sang imbibé dans le sol crie vengeance contre ses assassins.

Fait prisonnier, enfermé pendant quelques temps pour des raisons d’État, Jefferson Davis, ex-président de la confédération du Sud, est enfin relâché sous une caution donnée non par ses amis, mais par ses ennemis, dont l’un Horace Greeley honore cette assemblée de sa présence ce soir. — Rare magnanimité que celle qui a porté cet homme à engager sa propre fortune pour délivrer un ennemi invétéré des chaînes et de la prison !

Nous regardons tous avec un intérêt soutenu les événements tels qu’ils se développent d’eux-mêmes aux États-Unis, car, quelque peu disposés que nous puissions être à ne pas accepter la théorie de la destinée manifeste de M. Seward, il n’y a pas un seul de nous qui n’admette que les calamités des États-Unis sont en grande partie des malheurs pour le Canada, tandis que la prospérité de nos voisins se réfléchit sur nous. Puisse cet état de choses durer longtemps ! Puissent les démons de la guerre ne jamais être déchaînés !

Après tout, où pouvons-nous voir un pays plus paisible que le nôtre ? Il est vrai que le comble de notre ambition est une charge de lieutenant-gouverneur qu’on vient de priver des honneurs militaires, mais nulle part, aussi longtemps qu’un homme appartient en politique au parti gouvernant, il ne peut jouir d’une liberté d’action aussi parfaite qu’en Canada. L’opinion publique ne l’embarrasse où ne l’arrête pas dans ses entreprises ; la grande masse du peuple est indifférente à ses actions comme son représentant aussi longtemps qu’il paie honnêtement les votes donnés en sa faveur. Il peut être dénué de talent et d’éducation ; mais s’il est fidèle à son parti, nulle position n’est trop élevée pour satisfaire son ambition.

Bien que ce soient là des maux, nous avons le moyen de les guérir si nous voulons courageusement essayer de le faire. Cette intolérance qui a été si éloquemment et si habilement dénoncée par l’orateur qui m’a précédé à cette tribune, est la cause de tous ces maux. Oublions donc ces luttes de race et de croyances qui jusqu’à présent ont été le fléau de ce pays ? pardonnons à ceux qui nous ont traités injustement ; oublions, le passé, et rappelons nous seulement que nous sommes Canadiens, que nous devons prendre part à la grande lutte de la civilisation et de la liberté, et nous efforcer de délivrer notre patrie commune des vautours qui ont dévoré et dévorent encore à présent ses entrailles et détruisent le corps politique de notre pays.


L’heureuse allusion à la conduite de M. Greeley vis-à-vis de Jefferson Davis fut accueillie par des applaudissements longtemps répétés.

M. Greeley, invité par le président à favoriser la réunion de quelques remarques, le fit à peu près en ces termes.


« Pour l’homme véritablement libéral dans le siècle où nous vivons, il n’est plus qu’un pays : le monde ; une religion ; l’amour ; un patriotisme : civiliser et faire du bien à la famille humaine. Il a pour adversaires la tyrannie, l’ignorance, la superstition : en un mot ce qui opprime ou dégrade. »

Vivant comme nous le faisons de chaque côté d’une ligne imaginaire appelée 45, nous ne pouvons être ennemis. Dans ce pays je ne puis me croire étranger, et je suis heureux d’être au milieu de vous, car je me sens entouré d’amis des lumières, d’ennemis de la tyrannie et donc de tout ce qui abaisse l’homme. Pourquoi donc parler d’étrangers ? Je sais que durant les sombres moments où les ennemis de ma patrie semblaient sur le point de triompher, des sympathies furent exprimées de toutes les parties du monde, et des vœux montèrent de toutes parts vers le ciel pour notre salut. Je me sens ici chez moi, comme je le ferais en Espagne au milieu des républicains et en France dont le peuple me semble un vaillant allié. Je ne reconnais mes amis ou mes ennemis qu’à leurs sympathies ou leurs antipathies, pour toutes les libertés politiques et religieuses.

Je sens que vous et moi sommes amis et que c’est dans cet esprit que je me réjouis de me trouver au milieu de vous. Mais l’heure est venue et je dois terminer mes remarques par le vœu que les fils télégraphiques qui s’étendent entre nos différents pays arriveront à nos cœurs et enchaîneront tellement nos intérêts et nos destinées que nous pourrons, un jour, nous réjouir ensemble de voir la tyrannie terrassée et tous les pays libres.


Les remarques de M. Greeley furent accueillies, comme on peut aisément le croire, par les marques du plus vif enthousiasme.


M. Geoffrion prit ensuite la parole et sut même après les redoutables rivaux qui l’avaient précédé, créer un intérêt qui se soutint pendant tout