Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/103

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avancer ; se montrant toujours un infatigable chercheur, et veillant d’un œil de bonté sur le moindre de ses sujets. Après avoir ainsi jeté dans le cœur du peuple l’ancre de ses bienfaits, il essaya de courber le pouvoir d’une noblesse factieuse ; de la dépouiller de ces dangereuses immunités qu’elle avait usurpées ; de punir tels qui s’étaient rendus coupables d’offenses notoires ; de les faire tous rentrer dans l’obéissance due à la couronne. Pendant quelque temps ils supportèrent tout avec une apparente soumission, bien qu’avec une impatience secrète : ils couvaient leur ressentiment. Une conspiration finit par se former contre sa vie. À la tête se trouvait son propre oncle, Robert Stewart, comte d’Éthol, qui, trop vieux pour accomplir lui-même cette œuvre de sang, poussa son petit-fils, Sir Robert Stewart, ainsi que Sir Robert Graham et d’autres plus obscurs, à commettre le crime. Ils forcèrent sa chambre à coucher au couvent des Dominicains, près de Perth, où il avait établi sa résidence, et le mirent barbarement à mort en le perçant de coups redoublés. La reine, en se précipitant héroïquement pour mettre son corps délicat entre les épées et lui, fut deux fois blessée dans la vaine tentative qu’elle fit de le protéger contre les assassins ; et ce n’est que lorsqu’on l’eut violemment arrachée d’auprès de sa personne que le meurtre put s’accomplir.

C’est le souvenir de cette romanesque histoire du temps passé, du délicieux petit poëme éclos dans cette tour, qui me fit visiter le vieil édifice avec un intérêt tout particulier. L’armure complète suspendue dans la grande salle, richement dorée, chargée d’ornements, comme pour figurer dans un tournoi, fit passer d’une manière saisissante devant mon imagination le portrait de ce prince courtois et romanesque. Je traversai les chambres désertes, où il avait composé son poëme ; je m’appuyai sur la fenêtre et tâchai de me persuader à moi-même que c’était bien celle où la vision l’avait touché ; je cherchai des yeux l’endroit où pour la première fois il avait vu lady Jane. C’était le même mois, toujours joyeux et vivifiant ; les oiseaux, de leur voix limpide, rivalisaient encore de mélodie ; tout était plein de sève, tout tressaillait, et les boutons, tendre promesse de l’année, perçaient de toute part. Le temps, qui se plaît à effacer les monuments officiels de l’orgueil humain, semble avoir passé légèrement sur cette pe-